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Cette suite est la deuxième partie de la biographie de François Nespola, 1858-1911.

Dans ce quartier de Fabron, bien situé à l'entrée de Nice, juste après l'octroi du pont du Var, sur la route nationale, les voyageurs s'arrêtent volontiers, selon leurs moyens, dans une des buvettes et des auberges qui bordenr la route.

Eté 1878, l'auberge Falicon



Francesco s'occupe du vieux Falicon. Tous les soirs, malgré la fatigue de sa journée de terrassier, il le lave et le change. Puis il l'installe sur le fauteuil près de la fenêtre donnant sur la route nationale. Malgré toutes ses infirmités, le vieux est resté très gentil. Il apprécie les efforts de Francesco :

— Tu n'es pas mon fils et pourtant tu t'occupes de moi bien au delà de ce que mes enfants te demandent. Grâce à toi, je prends l'air et ça me plait de voir notre avenue. Elle a bien changé mais pour moi ce sera toujours la route de France, leur route "nationale". Du coin de l'oeil je peux même surveiller le restaurant ! …

Le vieux se tait un peu pour reprendre son souffle, puis il continue, ça lui fait du bien de parler un peu.

— Tu sais, ce restaurant, ce n'est pas moi qui trouverais à y redire. Ces enfants sont travailleurs et ils n'ont pas peur de prendre des risques. De ma petite buvette qui servait juste un plat unique sous la tonnelle, ils ont fait cette belle affaire avec cette belle véranda qui abrite les tables et même une piste de danse avec un orchestre le dimanche après-midi. Ça a un succès fou. Faut voir tous les mariages qu'ils organisent. Ils ne savent plus où donner de la tête. Pas facile de gérer tous ces clients, la cuisine et les approvisionnements. Il faut toujours que tout soit réussi et que les clients repartent contents.

Justement sa fille leur apporte le repas du soir, le journal et du linge frais. Elle est très pressée mais gentille, elle prend le temps de lui faire la bise. Pendant qu'elle parle à son père, François s'active dans la chambre pour changer les draps du lit.

— Comment ça va aujourd'hui ?
— Comme d'habitude, dit le vieux un peu triste.
— Arrête ! Tu es bien beau ! François t'a mis la chemise neuve et t'a rasé.
— Oui, il s'occupe bien de moi. Je vous en donne du travail. Comme si vous n'en aviez pas déjà assez ! Vivement que Dieu me rappelle à lui !

Le vieux aimerait remonter au temps de la buvette. Avant d'affronter Nice et ses embouteillages, les charretiers s'arrêtaient volontiers dans la cour pour désaltérer les mulets avec l'eau du puits et échanger les nouvelles en buvant un verre de piquette. On rigolait bien en se moquant des Français, des Piémontais. Gian Paolo était connu pour son franc-parler. À tel point qu'il avait failli perdre sa license de cabaretier ! Mais il respectait les règles : fermé dimanche et jours fériés, pas de cuisinier pour ne pas concurrencer les restaurants. Maintenant, il n'est plus qu'un vieillard, seul toute la journée et perclus de douleur. Un poids pour tout le monde. S'endormir et ne plus se réveiller. Tous les soirs il le demande dans ses prières.

Cabaret des Décapités ile Bréhat

— Ne dites pas ça, dit Francesco ! Où j'irais dormir moi ? Je suis bien gâté ici par vous tous. Nourri comme un coq en pâte. Mieux que dans ma famille, rajoute-t-il.
— Tu sais, ce n'est pas la nourriture qui manque, intervient la fille. Tous les soirs, il y a des restes. Il faut bien les manger. Ce soir, soupe au pistou. Demain midi, papa, je te porterai du stockfisch et pour toi Francesco, voici du pâté et du pain qui nous restaient, ça te fera un bon déjeuner.
— Du stockfisch ? C'est déjà vendredi ?

Il se régale d'avance. Ce n'est pas tous les vendredis que l'auberge fait le stockfisch. Souvent le vendredi, c 'est l'aïoli, plus rapide à faire et les Français le préfèrent au stockfisch, "ce ragout puant", qu'ils disent ! Faut dire qu'elle a du goût, cette morue mijotée avec ses boyaux. ça enbaume jusque dans la rue ! Le stockfisch, c'est exceptionnel et … ça vaut le coup de vivre encore un peu !

— Ha ! Je savais que ça te plairait ! Je suis contente de te voir sourire. Bonsoir, A demain.
— Merci pour tout et surtout n'oublie pas de remercier ton mari. Tu l'as bien choisi !
— Pas vraiment choisi, tu le sais bien ! Tu étais bien content de me caser avec le fils Maiffret. Mais finalement, Ambroise est gentil et courageux et je ne regrette pas. Et toi, Francesco, quand viendras-tu nous aider au restaurant ? Il y a du travail, tu sais et la pose des rails du tram sera bientôt finie.
— Pour le travail, je peux vous aider le dimanche mais en semaine, vous y arrivez bien en famille.
— Facile à dire ! On se fait vieux et tu sais, les enfants, ils prennent goût aux études, pas sur qu'ils nous remplacent un jour. Heureusement que ma sœur Francesca nous aide mais elle aussi se fait vieille. Et puis elle a ses petits enfants à garder pendant que sa fille prépare les fleurs pour le marché Saleya… ça en fait du travail tout ça. Assez de parlotes. François réfléchis bien ! Tu donneras ta réponse dimanche à Ambroise. Moi je dois vite aller ranger la cuisine et rincer encore une fois la morue. Sinon je ne serai jamais couchée et demain, je me lève tôt pour préparer les marmites de stockfish.

Vite, vite, elle fait la bise à son père et se sauve en emportant le linge sale et la gamelle de midi. Quand la fille est partie, ils se mettent à table. Le vieux manque d'appétit.

— Mange, c'est bon ! J'ai une faim de loup.
— Toi, tu es jeune, tu travailles dur. Il faut que tu manges. Moi, je me prélasse au lit. Dis-moi, tu as encore dû changer les draps ? Je les ai encore mouillés ?
— Hé oui, avec cette chaleur, on transpire ! Maintenant je vais les changer tous les jours . C'est ta fille qui le veut. Elle dit que tu dormiras mieux dans des draps frais.

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Bonne lecture !