Le fleuve Var
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Chapitre 1 : La mort du père

La propriété Ammoretti sur la colline de Saint-Antoine de Ginestière


La mort du père les avait pris par surprise et au plus mauvais moment ... si tant est qu'il y ait un bon moment pour mourir quand ses enfants sont encore jeunes. Carlo était mort à l'hôpital en 3 jours et pour tout héritage, il avait laissé des dettes que la famille devrait rembourser au propriétaire.

Ils étaient métayers de la propriété Amoretti, au bord du chemin de Fabron. Un peu après l'embranchement du chemin de Terron, là où le plateau monte en pente douce, au 350-353 de l'avenue de Fabron actuelle. La maison et la grange étaient au bord de cette route de terre qui menait de Nice à Ginestière. C' était une simple maison de campagne, sorte de résidence secondaire comme la bourgeoisie niçoise aimait en avoir pour prendre le frais sur les collines de Nice et contrôler l'exploitation du domaine. Un étage, un grenier sous le toit de tuiles. La colline dominait la plaine du Var et du premier étage de la maison, on voyait le clocher de l'église de St Antoine.

Saint Antoine de Ginestiere actuel
]Vue actuelle du village de St Antoine de Ginestière, prise de la colline de Terron, près du carrefour avec l'avenue de Fabron, tout près de la propriété Amoretti.

La façade principale, orientée sud-est, s'ornait d'une entrée de maître, quelques marches et un perron arrondi bordé de balustres vernissées et protégé par une marquise de fer forgé. Une belle glycine courrait sur les pierres grises de la façade aux porte et volets de bois bleu. La maison comportait une dizaine de pièces. En tout 13 portes et fenêtres taxées. La porte d'entrée s'ouvrait sur un petit vestibule aux dalles noires et blanches. A gauche, une porte donnait accès à la grande salle à manger des maîtres carrelée de même. En face, l'escalier menait aux chambres à l'étage. A droite, une deuxième porte donnait accès à la cuisine, carrelée de tommettes rouges. C'était la pièce à vivre des métayers qui y accédaient par la porte arrière. A l'étage, cette répartition se retrouvait. A gauche les deux grandes chambres des maîtres, à droite quatre petites chambres pour la famille du métayer. Le grenier très bas servait à remiser les oignons , les haricots secs et quelques malles des propriétaires.

Carlo et ses deux grands fils, Giuseppe et Francesco exploitaient le domaine. La propriété comportait deux hectares d'oliviers, une petite vigne à flanc de coteau et en bas du terrain un bois pour la cuisine et un peu de chauffage. Cattarina s'occupait du jardin et de la maison mais, au moment de la récolte des olives, l'aide des petits et de la mère n'était pas de trop.

L'hiver 1871-1872 et le printemps avaient été rudes et Carlo s'était littéralement tué au travail.

D'abord, il avait dû s'occuper des deux cents oliviers sur le plateau, parallèle à la route de Ginestière. La production de ces petites olives de Nice, les caillettes à la finesse si particulière, donnait beaucoup de travail. En décembre, les plus belles olives avaient été mises au sel, les autres portées au moulin pour fournir de l'huile. La production était très irrégulière : le paysan pouvait s'estimer heureux si deux récoltes sur trois réussissaient, malgré tout le travail. Cette année, la récolte avait été maigre.

“ La récolte sera meilleure l'an prochain” pensait Carlo, fataliste.

Fin mars, il avait réalisé le plus gros de la taille des oliviers. Giuseppe finirait le reste du travail : tailler les derniers arbres puis labourer et fumer le sol. En attendant, le vieil Auda, leur voisin fermier y faisait paître son troupeau.

Les vignes de la colline de Fabron


Au printemps, Carlo, 47 ans, optimiste malgré tout, en forme et aidé par ses fils, avait engagé des frais pour terrasser et replanter la parcelle de vignes. Depuis l'épidémie de phylloxera de 1863, les plants survivants végétaient et produisaient très peu. La chambre d'agriculture de Nice proposait des plants greffés, mieux armés pour résister aux maladie et d'un rendement supérieur. Même si la parcelle des vignes était petite par rapport à la surface des oliviers du domaine, régénérer cette vigne en valait la peine. Sur ce sol pierreux, très pentu, la vigne bénéficiait à la fois du soleil de l'ouest et de la ventilation de la plaine du Var : le matin, un petit vent froid descendait de la montagne vers la mer restée plus chaude, le soir, le souffle de la mer rafraichissait les gravières du Var chauffées par le soleil. Ce terroir de la colline de Fabron produisait un vin très apprécié par la riche clientèle des cafés niçois, tout comme le vin de la colline de Bellet voisine.

François Amoretti, le propriétaire était d'accord. En fait, c'était son idée et il avait volontiers avancé l'argent pour acheter les quelques charretées de pierres nécessaires pour consolider les murets des restanques et les nouveaux plants. Mais il fallait lui en rembourser la moitié. C'était la règle du métayage : le propriétaire et le métayer se partageaient les frais et les récoltes à parts égales. François et Carlo s'étaient mis d'accord : Carlo paierait sa part sur cinq ans, en fin d'année après les récoltes des olives, en espérant qu'elles seraient bonnes.

Giuseppe, le fils ainé, n'avait jamais partagé l'enthousiasme de son père.

“ Toujours plus de travail, et en plus il faudra payer plus ! Et qui nous dit que ces plants vont s'adapter. Ces beaux parleurs de la Chambre d'Agriculture ne prennent pas de risques. Le proprio non plus, il est riche. C'est lui qui tirera le bénéfice de l'opération … si ça marche !
- Tu sais, la vigne est petite, nous y arriverons, le gros boulot c'est la mise en place cette année” lui répondait son père “ et puis de toute façon les oliviers, c'est jamais sûr non plus, les récoltes sont irrégulières, un an oui, un an non. Et ne me dis pas que ça donne moins de travail que l'entretien de la vigne. Ne t'inquiète pas, tu t'occuperas des oliviers comme d'habitude. Battiste m'aidera. En cas de gros travaux, je me ferai aider par tes frères, Francesco et Onorato. “

'Heureusement que ces deux là ne sont pas aussi râleurs que l'ainé !' pensait Carlo.

Malgré cette assurance affichée, Carlo savait qu'il prenait des risques : la grêle pouvait hacher les jeunes plants et de toute façon, ce ne serait pas rentable immédiatement, il fallait au moins deux ou trois ans avant que les nouveaux plants ne produisent … si tout se passait bien.

“Pourvu que Giuseppe n'ait pas raison ! Dieu sait si ces plants vont s'adapter.” Ce n'était pas son ami, le vieil Auda qui pouvait le conseiller en la matière, il grognait en le voyant arracher les vieux plants.
“C'est comme moi, bon an, mal an, ils produisent encore peu”.

La vigne était dans la partie très pentue du domaine au départ du vallon. Le bas du terrain touchait le bout de l'avenue actuelle des Freesias, vers le 61. Avec le mauvais temps, les pluies diluviennes d'hiver avaient emporté toute la terre. Les vieux ceps de vigne étaient pratiquement déracinés. Les ronces et les taillis tenaient difficilement le tout.

Après avoir débroussaillé et arraché les vieux ceps, Carlo avait entrepris de tailler au pic des gradins dans le poudingue, cet amas de galets cimentés par une marne d'un blanc grisâtre pour aménager les bandes de terre étroites, “les planches” c'est ainsi qu'on les appelait. Ainsi retaillés, les talus avaient la solidité du roc. Ils ne s'ébouleraient pas sauf au fond du vallon près du ruisseau où les pluies torrentielles emportaient tout sur leur passage. Pour arrêter le ravinement du vallon, Carlo avait décidé de monter, en bout de planche, des petits murets de pierre sèches. En les comblant ensuite de déblais et de galets, cela permettait de gagner un peu de terre et de mettre quelques plants de vigne de plus. Dans les murets, de plus grandes pierres en saillie formeraient des marches pour passer d'une planche à l'autre.

Dès le petit matin, Carlo avalait vite sa soupe réchauffée au coin du feu par Cattarina. Il ne faisait pas chaud dans cette pente encore à l'ombre. Plus d'une fois il avait glissé. Le terrain était difficile, très pentu, presque impraticable. La terre blanche-jaunâtre se décomposait en marne argileuse et galets ronds très glissants avec l'humidité du matin. Pas étonnant qu'elle se ravine. Seuls des gradins permettraient de la stabiliser. Tout son corps grinçait quand il remuait les premières pierres, ses doigts gourds, parfois son dos se bloquaient en plein effort et il devait tout laisser tomber. Giuseppe avait raison, il se faisait vieux. Obligé de faire des pauses fréquentes, il se redressait et évaluait l'avancement de son travail.

Au passage, il ne pouvait pas s'empêcher de jeter un coup d’œil aux cimes enneigées éclairées par les premiers rayons de soleil au fond de la vallée du Var. Toute une barrière de rocs et de sommets arrondis se détachait sur un lourd manteau neigeux. Les Alpes. Leur blancheur avait l'éclat du diamant. Presque aussi coupant que le petit vent froid du matin. Carlo préférait lui tourner le dos et regarder vers la mer et l'embouchure de Var. Le fleuve serpentait dans les gravières, il semblait inoffensif, tout perdu son lit trop large. L'hiver, on pouvait presque traverser à pieds, à gué, ses maigres filets d'eau. La neige retenait l'eau des montagnes mais l'été, l'eau déferlait après les orages. Dommage, toute cette eau perdue dans la mer alors que la colline de Fabron en manquait tant. Le réservoir qui collectait l'eau de pluie des toits suffisait à peine pour la famille et quelques légumes.

Le temps dégagé s'annonçait d'azur. Le jour commençait à poindre, le soleil se levait sur la mer, ses rayons profilaient au loin la silhouette de la Corse qui se dégageait comme un mirage sur l'horizon. Ébloui, Carlo clignait des yeux. Beau, féérique même …une vue superbe sur la colline de Saint-Laurent du Var, le cap d'Antibes et plus loin encore la découpe triangulaire des Maures au delà de la baie de Cannes. C'était ce bel hiver que les touristes venaient chercher pour oublier la grisaille du Nord et beaucoup aussi pour guérir.

Mais ce n'est pas du tourisme que Carlo était venu faire à Nice. Carlo repensait sans nostalgie aux gravières d' Albenga, très semblables à celles du Var. Trois rivières y convergeaient et déposaient galets et alluvions avant de se jeter à la mer. Contrairement à Nice, cette plaine d' Albenga était sans horizon pour un homme pauvre malgré tout son courage. Heureusement que Cattarina avait accepté de quitter sa famille pour s'installer à Nice. Les débuts avaient été difficiles mais l'avenir leur donnait raison. Grâce aux touristes, il y avait du travail pour tous à Nice. Petit à petit, la colline s'éclairait. Le soleil et les efforts réchauffaient son corps. Le travail devenait plus facile. Battista arrivait pour aider son père. Avec sa bouille ronde et ses grands yeux de bébé, il apprenait petit à petit : manier la fourche, bruler les ronces, transporter le terre dans les couffins, caler les pierres … il était toujours de bonne humeur. Un vrai rayon de soleil et, à eux deux, ils ne voyaient pas passer le temps. Tout en travaillant, ils étaient fascinés par le spectacle de la plaine du Var qui s'animait à leurs pieds. Depuis 10 ans, avec le rattachement à la France, la vallée du Var débordait d'activité. Les travaux n'arrêtaient pas. Les Français avaient endigué le fleuve pour réduire son delta naturel et récupérer les terrains de la Grenouillère et des Sagnes pour l'expansion de Nice. D'un marécage à moustiques et roseaux, le Var était devenu un lieu de promenade. A leurs pieds, en regardant vers la mer, ils pouvaient voir s'esquisser le jardin d'acclimatation du Bois du Var : un parc de treize hectares de roseraie, fleurs et plantes exotiques, un jardin paysager avec des pièces d'eau et peut-être, plus tard, un zoo tout comme au bois de Boulogne à Paris. Déjà beaucoup de belles étrangères qui venaient s'y promener et prendre le thé au café du Bois. Des jardins, des voitures, des trains, Carlo et son fils n'en croyaient pas leurs yeux ! Le spectacle était permanent.


Le nouveau pont du Var à deux niveaux : en bas pour attelages, voitures et piétons, en haut pour le train


Les trains ! Carlo souriait en repensant à cette grande expédition familiale, le dimanche où il avait emmené sa famille découvrir ce tout nouveau pont, le pont Napoléon III qu'il avait vu construire, du haut de sa colline, en 1863 sur l'embouchure du Var en parallèle du vieux pont de bois aux quarante arches. Il ne l'avait pas encore emprunté car, quand il quittait sa colline, il allait toujours vers Nice.



l'ancien pont de bois sur le Var
l'ancien pont de bois sur le Var

le pont métallique à deux étages
Documentation sur ce pont métallique, dit pont viaduc, du Var de 1864, voir sur Gallica, le guide Joanne de Nice en 1898, écrit par E.Liotard, 1898 : "Le pont viaduc, bâti en 1864, est un des plus beaux ouvrages de la ligne de Toulon à Nice ... Ses travées de fer se trouvent à dix mètres au dessus de l'étiage"

Quelle aventure ! Ce simple petit aller et retour à pied jusqu'à Saint-Laurent-du-Var s'était révélé terrifiant ! Ce pont était à deux niveaux : la route passait par le niveau inférieur sous la voie ferrée. Les attelages et les premières voitures laissaient peu de place aux piétons. Sur le trottoir étroit, il fallait marcher en file indienne. Devant Giuseppe faisait le brave du haut de ses huit ans, juste devant Costanza qui riait en faisant le train : les deux mains sur les épaules de Giuseppe, elle faisait 'Tchou, tchou ....' comme une locomotive poussant son wagon. Cette balade, c'était son idée d'adolescente. "Les autres, ils vont voir leur famille. Nous, on reste toujours ici."

Elle voulait découvrir le monde et préférait la nouveauté du train aux jeux de boules des dimanches. Carlo avait accepté pour lui faire plaisir et pour être de son temps. De toute façon, il faudrait bien le prendre un jour ce pont. Il suivait ses deux ainés, un peu inquiet tout de même d'avoir entrainé toute la famille dans une telle aventure. Derrière Cattarina surveillait Francesco pour qu'il reste bien sur le trottoir et elle voyait Onorato sur les épaules de Carlo. Il aurait bientôt cinq ans et malgré tous ses efforts, ses petites jambes se fatiguaient vite. Hébété, le bébé serrait ses poings sur les oreilles pour atténuer le bruit. A chaque passage d'attelage, les armatures métalliques grinçaient, le sol vibrait. Avec tout ces craquements métalliques, on n'entendait même pas couler le fleuve. Le Var était paisible et semblait se moquer de cette folle entreprise humaine. A chaque passage d'attelage, les armatures métalliques grinçaient, le sol vibrait. Avec tout ces craquements métalliques, on n'entendait même pas couler le fleuve. Le Var était paisible et semblait se moquer de cette folle entreprise humaine. Un si grand pont pour franchir des filets d'eau et des gravières mais les Français, bien informés, avaient eu raison de voir grand. Le fleuve pouvait se réveiller et ses crues pouvaient tout dévaster. Il ne fallait pas qu'il réussisse à arracher ce pont comme il l'avait déjà fait par le passé. Du fleuve montait un courant d'air froid qui soulevait les jupes de Costanza et de Cattarina. Francesco et Giuseppe n'étaient pas mieux lotis avec leur culotte courte. Brr... que cette plaine du Var était froide ! Toute la bise des montagnes y dévalait.



fougasse
Arrivés à Saint-Laurent-du-Var, ils visitèrent le village. Pour la famille, ce petit bout de Provence était un dépaysement. Dans les rues, les gens s'interpelaient en provençal et étaient fiers de marquer leurs différences avec les niçois. Leur bourgade était petite mais française de longue date. Cattarina en profita pour acheter une fougasse sucrée à la fleur d'oranger. Un vrai goûter de fête pour les enfants ! Ça les réconforta un peu et ils jouèrent un peu sur la place pendant qu'elle faisait une prière dans l'église de Saint Laurent, implorant ce saint patron des pauvres de protéger sa famille.

Au retour ils s'engagèrent dans le pont, sous la voie ferrée, avec plus d'assurance. Tout le tumulte et le fracas métallique les impressionnaient moins. Le pont ne leur faisait plus peur. C'est ce qu'ils croyaient quand tout d'un coup un train ébranla toute la structure du pont. Ils se cramponnèrent aux rambardes en levant les yeux vers le plafond. La locomotive suant, soufflant, trainait des tonnes d'acier au dessus de leur tête. Ils restèrent pétrifiés. Francesco s'accrocha à la jambe de son père et Onorato se mit à hurler. Il ne se calma qu'une fois tous les wagons passés et ils furent tous heureux de regrimper sur leur colline de Fabron. Assez d'aventure pour la journée !

Tout ça, Batista ne pouvait pas s'en souvenir et il riait aux éclats en entendant ses ainés raconter l' histoire. Il était né deux ans plus tard. Les trains, ça ne lui faisait pas peur, il jouait avec ! Hé oui ! Baba, c'est ainsi qu'il appelait le vieil Auda lui avait taillé une locomotive et deux wagons en bois reliés par des ficelles. Ces deux là s'entendaient bien ! Gio Batta Auda jouait un peu le rôle du grand-père ou du vieil oncle ( barba en niçois pour une personne âgée de la famille mais le petit déformait le mot en ba..ba ). Quant aux ainés, ils empruntaient régulièrement le pont pour se rendre sur les chantiers de part et d'autre du Var. Francesco et Honoré qui s'y employaient comme journaliers quand l'exploitation du domaine ne requerrait pas leur présence. François travaillait comme terrassier pour l'aménagement du parc d'acclimatation du bois de Boulogne et Honoré à la culture des légumes sur ces terrains gagnés sur les gravières du Var. Irrigués et fertilisés par les alluvions du Var, ces terrains produisaient les légumes indispensables à l'approvisionnement de Nice et les provisions pour l'hiver : potirons, courges, pommes de terre, légumes secs. Il fallait bien les nourrir tous ces touristes et aussi tous ces montagnards qui venaient s'employer sur la côte pour la saison d'hiver.

C'est Cattarina qui venait les interrompre et les ramener à la maison pour le casse-croute du matin, la merenda. Du pain, les olives salées et un peu de fromage quand il y en avait. La maison était calme et même un peu vide. Costanza travaillait à la boulangerie de Terron. Giuseppe, François et Honoré étaient partis se présenter à l'embauche des journaliers. Bien sur, il leur restait Battiste, ce petit bout de chou rieur. Mais quand Battiste se sentait seul et réclamait un chien ... un petit frère, le couple échangeait des regards songeurs. S'il avait survécu, Carlo, leur petit dernier, aurait 3 ans et demi. Cattarina surtout ne réussissait pas à s'en remettre. Elle n'osait pas le dire. A cette époque, il fallait se résigner, Dieu rappelait à lui beaucoup d'angelots. Elle avait la chance d'avoir quatre grands enfants et Battista, ce petit dernier encore dans ses jupons.

Après cette brève pause, Carlo retournait à la vigne tandis que Baptiste aidait sa mère au jardin. De temps en temps Gio Batta, le vieil Auda venait voir l'avancement de cette nouvelle vigne.
“ Un travail de fou ! “ bougonnait-il, inquiet de voir ainsi son ami s'échiner à entailler la colline à coups de pic. Il grognait mais chaque matin, il ratissait sa bergerie pour remplir les couffins de migon qu'il portait à Carlo pour fumer ces nouvelles planches.
“Gardes-en pour ton jardin sinon tes courgettes ne donneront rien !” lui disait Carlo.
” T'en fait pas, il en reste bien assez pour moi seul.” répondait Gio Batta,

Les oliviers encerclaient la ferme du vieil Auda qui gardait une vache, trois chèvres et quelques moutons. En fait, Gio Batta Auda était né avec le siècle. A sa naissance, Napoléon et les Français occupaient Nice. A quinze ans, il les avait vus repartir. Avec la restauration sarde, le drapeau se Savoie flottait de nouveau sur la ville. Maintenant les Français étaient revenus. Qui sait pour combien de temps ? Les puissants défilaient, Nice restait niçoise avant tout et niçois, il l'était depuis plusieurs générations. Il avait été métayer du domaine entier. Après le départ de ses fils et la mort de sa femme, il n'avait pas pu assurer seul l'exploitation de la propriété. Le propriétaire, François Ammirati, était un brave homme, il lui avait laissé la petite ferme et un peu de terrain autour. C'est Gio Batta qui avait enseigné à Carlo la façon d'entretenir les oliviers. Il fallait labourer, fumer ce terrain caillouteux et surtout tailler chaque année les innombrables rejets sur les branches des oliviers. Un oiseau devait passer à travers. Toutes les branches étaient brulées aux pieds même des oliviers pour chasser la mouche qui piquait les oliviers et compromettait la récolte.

En mai, les terrasses étaient en place. Pour fixer les poteaux et tendre les fils de fer des rangs de vigne, Carlo s'était fait aider par ses fils, François et Honoré qui, ces jours-là, étaient restés sur le domaine. Giuseppe lui labourait le pieds des oliviers. En juin, les jeunes plants de vigne mis en place demandaient un arrosage régulier. Ce travail était plus facile. Navettes avec arrosoir entre la citerne et les planches, un tuyau aurait facilité les choses mais il n'y avait plus de sous et c"était temporaire, une fois démarrée, la vigne n'en aurait plus besoin.

Tous ces efforts épuisèrent Carlo. Un jour, il attrapa une mauvaise toux. Fatigué, toujours en sueur, il prit froid à cause de de ce petit vent qui descendait des montagnes encore enneigées. Ses toussotements empirèrent au fil des jours. Au début, il alla travailler, malgré la fièvre et la fatigue. Le soir quand il rentrait, Cattarina lui appliquait des cataplasmes de moutarde et des ventouses mais rien n'y fit. Début juillet, Carlo respirait difficilement et tenait debout avec peine. Le signor Amoretti et sa fille venus prendre le frais quelques jours, se rendirent compte de la gravité de la maladie. Le propriétaire réussit à convaincre Cattarina que Carlo devait être soigné à l'hôpital. “ Je l'emmène, les docteurs vont le remettre sur pieds en moins d'une semaine. L'hôpital Saint Roch est moderne et près de chez nous, nous irons le voir tous les jours. Il ne manquera de rien et vous reviendra vite guéri.” Cattarina céda à ces arguments et prépara vite quelques affaires pour Carlo, tout embrumé par la fièvre.

… les adieux … “Ne t'inquiète pas ! Je reviendrai vite. ” C'était la dernière fois que Cattarina put voir le bon regard de son Carlo.

fin de la mort du père, le but est de présenter la propriété, le propriétaire et les accords de métayage

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