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La mort du père,

suite, l'enterrement



… De fait, vite, il était revenu mais pas vivant. Le 14 juillet, l'attelage des pénitents noirs et le signor Ammirati étaient entrés dans la cour. Ils avaient déchargé son cercueil. Carlo était mort le 12 juillet. Le signor Amoretti avait organisé les funérailles avec l'aide les pénitents dont il faisait partie : la veillée funèbre se ferait dans le grand salon et la messe d'enterrement le lendemain à Ginestière.

Un grand drap noir déployé sur la marquise de l'entrée signale le deuil aux passants. Dans la grande salle, les meubles ont été repoussés sur les bords, un cercle de chaises entoure le simple cercueil de pin placé sur des tréteaux de bois. Les volets mi-clos plongent la pièce dans la pénombre. Entre les deux gros cierges blancs, un réceptacle d'eau bénite et un rameau d'olivier que le curé est venu porter … Le silence règne dans cette chambre funéraire … Cattarina accueille .. sanglots... chuchotements. Seul Battiste ne réalise pas encore bien. Il joue à la marelle dans la cour.

Les voisines murmurent des condoléances, elles se relaient pour tenir compagnie à Cattarina. Elles apportent de petites choses pour la famille, un peu de pain, Louisa l'aubergiste, une grosse marmite de soupe. Elle porte aussi des vêtements : pour les enfants, les pantalons noirs et chemises blanches que mettent ses fils pour servir à l'auberge et pour Cattarina une robe sarrau noir.

Cattarina déplie la robe, le coton mercerisé est presque neuf. Elle essaie la robe, elle lui va.

“Merci de me la prêter pour demain pour … pour mon Carlo … Heureusement que tu y as pensé, du noir j'en avais pas et j'y pensais même pas. Je suis en dessous de tout, trop perdue pour penser même aux habits. J'en perds la tête. Comment je vais faire pour les enfants ? Que vont-ils devenir ? Surtout Battista, il est encore si jeune ... Merci, merci pour tout ! Excuse moi, je ne peux même plus parler. “ Les sanglots étouffent sa voix.

“ T'inquiète pas, je sais ce que c'est. Je suis déjà passée par là à la mort de mon pauvre Tonio. La robe, tu peux la garder ! Elle ne me va plus. J'ai trop grossi. Tu verras, pour les enfants, avec les ainés vous formez une famille solide. A vous tous, vous y arriverez et on vous aidera. Pour les vêtements de Giuseppe et Francesco, tu me les rendras après l'enterrement car c'est la tenue de service de mes fils. Pour les petits, garde ces vêtements pour les fêtes. Pour tous les jours, tu ne vas pas les mettre en deuil. Un brassard noir suffira.”

Le soir, Gio Batta vient lui aussi. Il porte un peu de fromage à la cuisine ensuite il se recueille près du cercueil. “Trop jeune pour mourir.” pensait-il “ Dieu s'est trompé. Il aurait mieux valu que ce soit mon tour. Et que vais-je devenir sans mon ami ? Avec Giuseppe, ce ne sera pas facile.” En partant, il propose à Cattarina d'emmener Battista dormir avec lui.

“ Viens petit, tu vas m'aider à nourrir les chèvres, on ira au carrefour regarder les feux d'artifice sur Nice, puis on ira se coucher dans mon grand lit et je te raconterai l'histoire de la masca qui avait ensorcelé l'âne du curé.” Battista ouvre de grands yeux effrayés

“ La masca …
- Oui, la masca, la sorcière. Mais t'en fais pas, le curé n'avait pas dit son dernier mot ! Viens, les feux d'artifices vont bientôt commencer.
- Les feux d'artifices ! ” Répéta Battiste en sautillant sur place.

Il suivit Gio Batta avec enthousiasme. Le pauvret était trop jeune pour comprendre la mort. Il aurait bien le temps ! Son père ne serait plus là pour l'aimer et le soutenir. Dure vie à venir pour ce bambin aux yeux émerveillés de tout. Heureusement Gio Bata était comme son grand-père. Ses grands parents d'Albenga, il ne les avait jamais vus.

La veillée fut longue à la lueur des deux cierges aux pieds du cercueil. Les voisins firent tous un passage discret pour évoquer à voix basse la vie de Carlo. Louisa commença “ je me souviens quand mon pauvre Tonio est mort, c'était en pleine récolte des olives, Carlo s'est occupé de tout avec mes deux fils. Cattarina, toi, tu es venue m'aider. Sans vous deux, j'aurais tout laissé tomber.. pourtant je n'avais pas le choix !"

Ce soir là, il faisait très chaud. A peine un souffle d'air. Les fenêtres étaient entrouvertes mais il n'entendirent pas crépiter les feux d'artifice qui marquaient le début des bals du 14 juillet. Costanza pensa furtivement à Barthélémy. Que faisait-il ce soir ? Elle aurait aimé valser dans ses bras … Mais, comment pouvait-elle y penser alors que son père venait de mourir ? Son père, lui, ne la prendrait plus dans les bras … prise de honte, les yeux noyés de larme, elle se força à se ressaisir et alla proposer un petit verre de grappa à l'assistance. Cattarina et Louisa préférèrent une tisane de verveine.
Ensuite les voisins prirent congé. Cattarina demanda à sa fille de dormir avec elle. Elle se sentait si seule sans son Carlo.
L'enterrement eut lieu le lendemain, le samedi 15 juillet.

Le matin à 10 heures, les pénitents reviennent. La famille fait un dernier adieu au mort. Le cercueil est fermé par des vis et porté sur le tombereau revêtu de draps noirs. Cierges, tentures et tréteaux sont promptement récupérés. On voit qu'ils ont l'habitude. Quand le cercueil quitte la maison, Cattarina manque de défaillir et chancelle sur ses jambes. Heureusement Costanza et Louisa sont là pour la soutenir. De la maison à l'église, la famille suit le corbillard à pieds. A l'approche du cortège, le curé fait sonner le glas et accueille la famille. La petite église est presque aussi pleine que le dimanche. Mais cette fois, il y a beaucoup plus d'hommes. D'habitude les hommes préfèrent se retrouver au café d'en Mais là, tous les cultivateurs de la colline, souvent italiens comme Carlo, sont venus lui rendre un dernier hommage. Giuseppe, Francesco et les deux fils de Louisa portent le cercueil jusqu'à la tombe du petit cimetière à côté de l'église Saint-Antoine.

Émotion.

Cattarina est soutenue par Costanza et Giuseppe. Francesco et Onorato encadrent Battiste. Ils ont fière allure tous les 5. Une belle famille soudée par le deuil. Mais, avec la mort du père, une page est tournée. Que vont-ils devenir ? Réussiront-ils à s'entendre ?

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