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Bref résumé des chapitres précédents :

La famille habite sur la colline de Fabron,Cattarina et Carlo Nespola sont métayers d'une famille bourgeoise niçoise, les Ammirati qui habitent rue Gioffredo.
Costanza a 20 ans, Giuseppe, devenu chef de famille, 17 ans, Francesco 14 ans, Onorato, 13, Battista 7.
Le père, Carlo s'est endetté pour l'aménagement d'une vigne, il a pris froid et il est mort à l'hospice en juillet 1872.
Le propriétaire et surtout sa belle-mère ont menacé la famille d'expulsion s'ils ne remboursaient pas la dette. A force de petits boulots, la famille a réussi à rembourser mais Giuseppe veut que ses frères cadets aillent s'embaucher ailleurs.
La sœur de Cattarina invite la famille à rentrer à Albenga. Le père se fait vieux et a besoin d'aide.


Albenga


Dès le début de l'année qui suivit la mort du père, Giuseppe insista pour que ses jeunes frères partent à Albenga. Lui resterait avec sa mère comme métayer des Ammirati, Costanza habiterait avec eux jusqu'à son mariage avec Barthélémy, son beau militaire. Même si cela devait durer longtemps, cinq ans au moins s'il n'y avait pas de guerre en plus, elle ne serait pas un fardeau pour eux. Les aubergistes, les Falicon, la payaient bien pour tenir la boulangerie et garder leur vieux père. Elle pourrait même épargner un peu d'argent chaque mois pour constituer sa dot. ça lui serait bien utile pour s'installer en ménage.

Cattarina ne voulait pas se séparer de ses enfants :

"Ton père n'aurait jamais voulu se séparer de ses enfants ! Pauvre Carlo, il se retournerait dans sa tombe de t'entendre parler ainsi ! Il disait toujours -Notre force c'est de rester unis en famille et de nous aimer.- Depuis sa mort, tu es de plus en plus irascible et j'entends pleurer les petits tous les soirs dans leur chambre .
— Mama, répondait Giuseppe, maintenant je suis le chef de famille et c'est mon rôle de me faire du souci pour tous et de leur apprendre la vie. Je ne veux pas que nous finissions dans la misère. Cette propriété de Fabron est trop petite pour nous nourrir tous. Sois raisonnable, mes frères seront en famille à Albenga, nous y avons plus de famille qu'à Nice ! Si ton père veut les voir, c'est peut-être pour transmettre sa propriété à un de ses petits-fils. Ta sœur Maria n'a que des filles et vu le caractère de ton père, c'est pas sur qu'il s'entende bien avec son gendre et se laisse commander sur ses terres. Avec les enfants, il restera le patron et les formera. C'est dans leur intérêt. S'ils restent ici, mes frères mèneront une pauvre vie de journalier, payé à la tâche. Francesco est bien prétentieux s'il pense qu'on va l'employer comme jardinier et confier une propriété à un fils d'immigré italien. Au moins, à Albenga, il apprendra le métier.
— Mais, ils ne peuvent pas partir tout seuls !
— Mama, ouvre les yeux ! A quatorze ans , Francesco n'est plus un enfant."

Francesco écoutait ces querelles sans rien dire mais il se faisait à l'idée du départ. L'aventure le tentait et lui permettrait d'échapper aux ordres de Giuseppe. Il faisait bonne équipe avec Onorato et pourrait protéger Battista qui d'ailleurs était déjà très raisonnable pour ses sept ans.

En février, ils reçurent une deuxième lettre avec un gros billet dedans. Le grand père leur envoyait l'argent du voyage. Cattarina fut très touchée et à deux doigts d'aller revoir son père pour faire la paix avant la mort de ce dernier. Bien que bourru, il avait essayé de tout faire pour le bien de ses filles tout comme ses parents l'avaient fait pour lui. Et plus que tout, il voulait leur transmettre cette terre de famille et accroitre ce petit domaine en alliant ses filles à d'autres propriétaires terriens d'Albenga. La terre fertile et limoneuse de la vallée d'Albenga ne se vendait pas. Elle se transmettait. Et pas question qu'un simple journalier ose prétendre à la main de son ainée.
Le père avait eu des mots très durs.
"Journalier, il est , journalier, il restera. Facile d'avoir le cœur sur la main et de vouloir tout partager quand on n'a rien. Des nèfles, oui ! Ce n'est pas pour rien qu'il s'appelle Nespola ! Qu'il aille demander à son père des terrains de famille. Ce Carlo Nespola, il ne sait même pas d'où vient sa famille. Son père, Pietro est un enfant abandonné né des campagnes napoléoniennes auquel les religieuse de l'hospice d'Albenga ont donné un nom de fruit - Nespola pour Nèfle- pour nom de famille. Et tu seras fière de t'appeler Nespola ??? ... Le bébé que tu portes dans ton ventre, tu devrais l'abandonner à l'hospice ... c'est sa famille ... Ensuite belle comme tu es, le voisin sera peut-être, encore content de t'épouser !
— Vigne ... Vignola, c'est pas si loin ! Qui sait d'où vient notre nom ?
— Comment, tu oses encore me répondre ! Et mettre en doute notre famille ! Nous dont le nom est inscrit dans la vieille église de San Giorgio ! Les Vignola sont à Campocchiesa depuis toujours. Avec ton gros ventre de fille-mère, tu es le déshonneur de notre famille ! Disparais de mes yeux !
— Papa, laisse nous nous marier et tu ne nous verras plus. Nous prendrons le bateau pour Nice. Il y a du travail là-bas pour des gens courageux comme mon Carlo."

Brr... que de mauvais souvenirs ! Heureusement qu'elle avait gardé le bébé. Son bébé sourire, la petite Costanza, si facile à élever et maintenant si vaillante à la tâche ! Heureusement aussi qu'elle avaient gardé son Carlo ! Ils avaient été heureux ensemble et s'étaient soutenus face aux difficultés de la vie.

Peu après le mariage et la naissance de Costanza au village en juillet 1852, ils avaient chargé sur la charrette leur pauvre pécule : un peu d'argent que Carlo cachait dans sa ceinture, quelques draps que Cattarina avait brodés, des vêtements bien chauds pour le bébé, .

"Prends les, lui avait dit sa mère, Il en faudra pour protéger le bébé l'hiver à Nice. Dieu sait où vous serez logés et un bébé, c'est si fragile ! Si seulement vous aviez pu rester à la maison ! Mais Giuseppe ne veux rien entendre. Il a tord et le regrettera ! Ce gendre si travailleur et si gentil. Ton père l'appréciait beaucoup ... avant qu'il ne séduise sa fille, son ainée qu'il avait promise au fils du voisin. - Pour réunir les propriétés, qu'il disait -"

Au moment du départ, le père n'était pas là, il avait du travail, lui, dans les champs. Il y cachait surement sa rage et sa tristesse.
La petite sœur, Maria avait brodé une splendide couverture de boutis et un bonnet pour le bébé.
"Tu verras, c'est du coton mais bien épais pour protéger le bébé du soleil et du vent sur le bateau."

Boutis

Elle ne put en dire plus. Pour cacher ses larmes, elle étreignit Cattarina et le bébé. Sa mère en fit autant.
"Ecris-nous ! Nous porterons la lettre au curé. Il nous la lira."

Tonio, le voisin fit monter Cattarina à côté de lui sur le banc de la charrette. Le bébé dormait calmement bien repu, blotti tout contre la poitrine de sa maman. C'était un beau bébé. A eux trois, ils auraient fait une belle famille mais Cattarina en avait décidé autrement et Tonio s'était résigné. Il épouserait la petite sœur Maria si elle l'acceptait. Pourvu qu'elle ne parte pas, elle aussi !

Carlo sauta lestement à l'arrière et la charrette se mit à grincer sur ses essieux, brinquebalant un peu sur le chemin cahoteux. Il faisait beau, ils étaient jeunes, amoureux et plein de forces mais ils savaient que c'était un départ sans retour.

Cattarina ne reverrait jamais sa mère. Elle était morte l'hiver suivant, la tristesse y était peut-être pour quelque chose. Les deux sœurs avaient continué à s'écrire , ou plutôt à faire envoyer des nouvelles par le curé puis par les enfants dès qu'ils avaient été à l'école. Cattarina aurait aimé revoir son père et sa sœur mais comme le disait Giuseppe, son fils, sa vie était ici, à Nice, maintenant. Les voyages étaient coûteux. Le billet envoyé permettait juste de payer le voyage des enfants et de leur confier un peu d'argent.




Le voyage, les enfants en rêvaient déjà. Leurs yeux brillaient quand ils posaient des questions.
"Mama, dis-nous, comment c'est Albenga ?
— c'est un peu comme Nice. Une vieille ville entourée de remparts au bord de la mer avec un grand fleuve un peu comme le Paillon mais plus large. C'est la Centa. A l'ombre des hautes maisons, les ruelles sont fraiches et il y fait bon vivre même en plein été... mais c'est comme pour Nice, peu de gens habitent la vieille ville. Il y a des palais déserts et même des ruines du temps des romains. Les paysans habitent les campagnes dans les villages autour. Le notre de village, c'est Campochiesa. Vous verrez, c'est un beau village sur une petite butte qui domine les campagnes et les oliviers. Notre église borde une grande place ombragée par les ifs et les pins. La maison Vignola, celle de grand-père Giuseppe, est tout au bout de la grande rue, celle qui monte vers le plateau. Près de la fontaine et du cimetière. Tante Marie habite la maison d'en face, celle de son mari Tonio."









Finalement, Cattarina se résigna à laisser partir les enfants mais pas en train comme l'avait conseillé Maria. En bateau. Le train c'était nouveau et trop dangereux. Qui sait si des rochers n'allaient pas s'écraser sur le train à leur passage ?
"Mama, tu exagères, c'est arrivé juste une fois en un an et pas sur le train," dit Francesco qui avait très peur de la mer et encore plus de monter sur un bateau. Il préférait rester sur la terre ferme
"Tu sais, répondis Cattarina, leurs trains, c'est nouveau et il y a aussi les tempêtes qui risquent d'emporter les wagons, la voie passe tout contre le rivage.
— le bateau, c'est aussi dangereux quand il y a des tempêtes !

— oui mais les capitaines s'y connaissent. Ils ne risquent pas bateau et marchandises dans le mauvais temps.
— Mama, tu as raison, intervint Giuseppe. Au port, je connais Maiffret, il fait le transit et le commerce entre Nice et Albenga. Il pourra prendre les enfants avec une cargaison et ça nous coutera moins cher que le train."

C'est lui qui emporta la décision. N'était-il pas le chef de famille ?
Le départ fut fixé pour le début août.



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Bonne lecture !