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1878-la vie est dure sur les collines de Nice

Cette suite est la deuxième partie de la biographie de François Nespola, 1858-1911.
En 1878, la sécheresse sévit à Nice, c'est la deuxième année et la récolte des olives a été pratiquement nulle. Heureusement pour les paysans des collines, ils peuvent se faire embaucher sur les chantiers des grands travaux lancés par la ville de Nice. Pour ce qui concerne le quartier de Fabron, la Promenade des Anglais atteint la batterie Pauline face à l'église Sainte-Hélène, la ligne du tram est en cours de prolongation de Magnan vers le pont du Var et la Compagnie Générale des Eaux prolonge les canalisations au même niveau.
Le peintre Ziem séjourne dans sa villa "La Baie des Anges" qu'il a achetée en 1876. Il compte partir à Venise en juin 1878.


Vous auriez dû rester à Albenga !



Sur le coup de l'émotion du retour et aussi du bon vin, les trois frères ne se réveillent que le lendemain. Un peu perdus car la maison semble morte, tout est silencieux. À Campochiesa, les maisons étaient regroupées sur la colline et formait un village. Dès l'aube l'animation ne manquait pas. Les coqs, d'abord, se chargeaient du réveil, puis c'était les cloches de l'église. Pour finir, les premiers charretons des paysans brinquebalaient en descendant la ruelle pour aller cultiver les champs dans la plaine. Sur la colline de Ginestière, ce n'est pas le cas. Les maisons sont dispersées. Chaque propriété fait un ou deux hectares, si ce n'est plus. Pourtant la maison est au bord de la route mais le charroi n'a pas encore commencé. Il faut du temps pour monter la route en corniche de Fabron à Ginestière. Ils arriveront vers les neuf, dix heures.

Dans la cuisine, Costanza avait déjà tout rangé et était repartie au travail au point du jour. Sur la cuisinière à bois, la soupe mijote doucement. Michele et sa mère sont déjà attablés et mangent en silence. Seule le feu crépite doucement.

Battise va pour faire la bise à son frère et à sa mère. Michele le repousse doucement.

— Hé, morveux ! Tu vas pas nous faire la baïeta (la bise) tous les jours ! T'es plus un bébé !

Cattarina ne réagit pas. Pourtant elle aimerait serrer dans ses bras son petit ... et même les plus grands. Battiste proteste :

— À Campocchiesa, Nonno (le grand-père) nous faisait la bise. Tout le monde se faisait la bise. Et à Campocchiesa, on buvait du café le matin, pas de la soupe.
— Menteur ! Du café ? T'es fou, c'est pour les riches.
— Si ! Nonno, il aimait le café. Ça lui donnait des forces pour la journée qu'il disait.

Francesco intervient et il explique que le petit ne ment pas, bien sur c'était beaucoup de chicorée et un peu de café. Le café leur était envoyé directement du Brésil où un cousin avait émigré.

— Comment ça, demande Michele un peu railleur ? Un paysan italien au Brésil ? Comment a-t-il pu se payer le voyage ?
— Au port de Gênes, on te paie le voyage. Ensuite ils te donnent des terres.



Affiche de propagande destinée aux Italiens et vantant la vie au Brésil : (dans un italien un peu approximatif)

En Amérique… des terres au Brésil pour les Italiens.
Départ de navires chaque semaine de Gênes.
Venez avec votre famille construire vos rêves.
Un pays d’opportunités. Climat tropical, vivres en abondance, ressources minières
Au Brésil, vous pourrez posséder votre château. Des terres et des outils pour tous.

En fait, à l'arrivée, le confort est relatif : colonie en plein désert, barraques en bois aux toits de tôles




— Tu y crois, toi ? S'ils te paient le voyage, c'est pour te faire travailler comme un esclave. Toi, l'intellectuel, tu crois à tous miroirs aux alouettes. A Carras, une miséreuse pourra t'en raconter sur les promesses du Brésil ... elle y a été mais en est revenue dès que sa famille lui a envoyé l'argent du retour. La vie de château, tu parles ... des baraques en tôles, même pas de puits pour boire l'eau ou arroser les légumes ... d'ailleurs tout crève dans ce désert, même les hommes.
— Je sais, répond Francesco, en Italie, ils n'ont pas le choix. C'est bien quand tu as ta maison et ta terre à toi mais si tu es fermier, tu meurs de faim et il faut que tu partes. C'est pour celà que Nonno tenait tellement à marier mamma avec le propriétaire voisin. Il savait bien que Papa, notre Carlo, malgré tout son courage, ne réussirait pas à acheter de terres et la propriété de Nonno n'était pas suffisante pour assurer l'avenir de ses deux filles.
— Faut pas croire qu'ici c'est plus facile. Avec cette sécheresse, à nous tous, nous allons crever de faim. Et toi Battiste, apprécie la soupe tant qu'on peut en faire ! Les légumes, c'est Costanza qui les rapporte de son travail. Au vallon Barla, ils ont encore un peu d'eau dans les puits. Ici la citerne est vide et et du fond du puits ne remonte que de la boue. Sans le travail de Costanza, nous ne mangerions que de la pollenta matin et soir. Cet été, il n'y a pas eu assez d'eau pour les courges. Pourtant Mamma versait un peu d'eau à chaque pied tous les soirs. ça n'a pas suffi. Elles ont grillé avec la chaleur et on n'a pas pu en garder pour l'hiver. En septembre, nous ne pourrons pas payer le fermage et nous serons mis dehors. Vous auriez mieux fait de rester à Albenga ou alors tenter votre chance au Brésil. On sait jamais, toi, le Mossieur qui sait lire et écrire, tu pourrais y faire fortune.
— Ne dis pas ça ! Il y a du travail à Nice, j'ai vu plein de chantiers et de gens riches. Dès demain nous allons nous présenter à l'embauche des manœuvres mais aujourd'hui, je vais aller au jardin d'acclimatation du Bois du Var. Mon ancien contremaître appréciait mon travail. Il va bien nous en trouver. Battiste, avec ses petits doigts, sait bouturer les plantes et Onorato et moi, nous sommes pleins de force.

À suivre
Bonne lecture !
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