accueil du site / biographie de François Nespola, 1858-1911
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Le vieux Falicon, "médaillé de Sainte-Hélène".
C'est quoi cette mention sur l'acte de décès des registres de l'église Sainte-Hélène à Nice ?

- Une médaille remise par le curé à ses paroissiens méritants ?
- ou la médaille dite en chocolat remise aux anciens grognards de l'empire ?

Le 18 août 1877, l'acte de décès de Jean Paul Falicon indique "décoré de la médaille de Sainte-Hélène" de Sainte-Hélène. Il était né le 16 mars 1788, fils de François Falicon et de Françoise Martin.

Pour les besoins de cette biographie, je l'ai fait survivre quelques années de plus pour qu'il nous parle des Falicon de cet îlot Falicon-Maiffret, grands-parents de la future femme de François Nespola sera cohéritière. Au passage, il raconte un peu la vie de ces Niçois engagés de gré ou de force dans les armées de Napoléon du temps où Nice a été temporairement française entre 1797 et 1814. La médaille dite en chocolat

Medaille sainte helene 1857


Gian Paolo Falicon, vieux grognard de l'Empire

Costanza se confie au vieux Falicon

Le lendemain, le vieux Falicon s'étonne de voir Costanza si triste et fatiguée. Elle n'a pas réussi à dormir de la nuit.

— Tu me sembles bien soucieuse pour une jeune fiancée.
Costanza n'ose pas répondre. Ses yeux se gonflent de larmes.
— Tu sais, les querelles d'amoureux, c'est normal ... et puis l'attente a été longue. Cinq ans et l'armée, ça change un homme. Toi aussi, toujours plus belle ... Barthélémy, il est peut-être jaloux ? Sans raison bien sur ! A part moi, ton amoureux de quatre-vingt-dix ans à qui tu consacres tant de temps, dit-il en riant pour essayer de la faire sourire.
— Ce n'est pas lui qui me fait souci. C'est ma famille, sanglote-t-elle. La vie est impossible là-haut. J'ai hate de me marier. Vivement octobre. C'est vrai c'est long d'attendre. J'ai hâte de quitter cette maison et de vivre avec Barthélémy. Ensuite, nous prendrons Mamma avec nous, elle gardera nos enfants et nous serons heureux car Barthélémy est doux et gai comme Papa.
— C'est sûr. Tu l'as bien choisi ton Barthélémy. Mais pour ta famille, tu sais, petite, tu peux tout me dire, ça te fera du bien et fais moi confiance, je n'en dirai rien. D'ailleurs, pour le peu de monde que je vois !

Alors Costanza lui raconte la querelle des deux frères. Francesco qui n'a pas voulu rester dormir dans la maison.

— Où est-il parti ?
— Hier soir, il a dormi dans le cabanon du vieux Gio Batta mais ce soir, je ne sais pas où il sera. Surement pas sur le domaine. Michele irait le débusquer. Peut-être sous les ponts comme un clochard. Je ne sais même pas si on le reverra. Et le petit Battiste qui veut le suivre ...
— Et la Mamma, qu'est-ce qu'elle en dit ?
— Elle a peur et tout ce qu'elle trouve à dire c'est "Mes enfants, mes petits ... Papa doit se retourner dans sa tombe de vous voir vous battre ainsi. Vous allez attirer le malheur !".
— Elle a raison ! Un malheur est vite arrivé. Ton Francesco, ramène le moi ici. La vie et les hommes, ça me connait, tu sais.
— Mais Francesco, c'est pas lui qui cherche querelle.
— T'inquiète pas ! Je sais, je l'ai vu, il n'est pas agressif mais bien sur à cet âge, il a le sang vif et ne restera pas se faire insulter.

Francesco accepte de voir Gian Paolo Falicon


Le soir Francesco frappe doucement à la porte de Gian Paolo. Couvert de poussière, il fait tourner sa casquette entre ses doigts et ose à peine entrer.

— Viens, n'aie pas peur ! Aujourd'hui, j'ai pas pris le fusil ! Je suis content de te voir. Tu vas pouvoir m'aider à me lever. Tu vois aujourd'hui aussi je suis resté au lit. Je tiens à peine debout... Demain, ça ira mieux.

Francesco l'aide à s'installer dans son fauteuil. Au passage, il ranime les cendres et recharge du bois dans la cuisinière. Le feu est presque éteint. Ils commencent à discuter. Le vieux va droit au but.

— Costanza m'a parlé. Que comptes-tu faire, toi l'Italien ?

L'entrée en matière est rude. Le visage de Francesco se ferme. Pourquoi sa soeur lui a-t-elle tout raconté à ce vieux ? Pour se faire encore insulter ? Pour l'humilier d'avantage ? Et lui qui pensait que sa soeur le soutenait et lui voulait du bien. Il venait juste aider le vieux. En contrepartie, ce Falicon pourrait l'introduire pour un poste de jardinier. Il était connu et respecté dans le quartier. En fait, il était tombé dans un piège. Le vieux allait lui faire la leçon.

Un peu éberlué, il regarde Gian Paolo et remarque la décoration sur le revers de la veste. Le militaire arbore sa médaille de guerre. Vraiment, il n'y avait rien de bon à attendre de cette discussion. Francesco se dirige brusquement vers la porte. Il rejetait tout cela, les médailles, la guerre, les Français .... En fait c'est plutôt la France qui le rejetait en le traitant d'Italien, fils d'étranger ... Pourquoi devrait-il aller faire la guerre, envahir des pays, tuer de pauvres paysans comme lui.

Ici Napoléon était présenté comme un héro mais pas à Albenga. Nonno lui avait raconté le séjour des troupes françaises à Albenga, les réquisitions et pire les pillages. Les soldats avaient même dégradé les églises. Ils avaient campé dans le cimetière autour de l'église San Giorgio, fracassé des croix et même lacéré les fresques. Des soudards. Avec leur République, Ils voulaient même s'emparer des terres... Nonno lui avait tout raconté.

— Hé mon grand, reste , je plaisantais. Moi aussi je suis italien de coeur, ou plutôt Niçois avant tout. Tu sais l'armée, j'ai vu ce qu'elle a fait ... La guerre, c'est pas glorieux. Je te comprends mais moi à ton âge, je n'ai pas eu le choix. J'ai tiré un mauvais numéro. En plus, j'étais naïf. Les uniformes, ça me faisait rêver. ça faisait rêver les filles aussi.

Ici, au Barrimasson, les soldats ont fait la fortune du quartier en construisant la batterie Pauline juste en face de notre église Sainte-Hélène. J'y ai travaillé avec eux. Ils nous payaient bien, nous les gosses. Ils venaient manger à l'auberge de mon père. Quand ils avaient bien bu, ils chantaient et racontaient leurs exploits. C'était le bon temps. Ils venaient libérer les peuples de tous ces nobles et ces curés qui s'enrichissaient sur leurs dos. Tous égaux ... J'y ai cru. Un peu ... Le curé on l'aimait bien, c'est lui qui nous faisait l'école. Grâce à lui, je sais lire et écrire. Les nobles, je les connaissais moins. Ils étaient partis à Turin ou plutôt ils avaient émigré en perdant tous leurs biens.




— Des émigrés, j'en connais moi. Mon père était métayer des Anfossi. Grâce à eux, mes parents ont pu s'installer à Ginestière. Françoise Anfossi était ma marraine. Je l'aimais. En 1860, après le rattachement de Nice, ils ont dû émigrer vers Turin en laissant leurs propriétés qui ont été saisies sous prétexte qu'ils ne payaient pas leurs taxes. Pas pour les donner aux paysans. Pour les revendre à des bourgeois qui en ont bien profité de leur malheur. Alors moi, les belles paroles des Français, j'ai du mal à y croire. C'est pas la peine de me faire des leçons avec vos médailles.

Un peu surpris, Gian Paolo porte sa main sur la médaille.

— Des leçons, ce n'est pas moi qui t'en ferai. Et cette médaille, tu vois, je la porte toujours sur mon coeur. Pas par orgueil. Je la porte en souvenir de tous ceux qui n'ont pas eu ma chance de survivre. Par fraternité. Quand en 1857, j'ai appris que Napoléon III avait créé cette médaille pour les anciens combattants survivants des guerres de 1792 à 1814, pour honorer le testament de Napoléon Ier, j'ai tenu à faire le dossier de demande. Avec mon ami, Joseph Raveu, qui lui aussi, avait fait les campagnes, nous avons du batailler contre l'administration piémontaise. "Qu'est-ce que ça vous rapportera de faire ce dossier ? Cette médaille ne vaut rien, c'est du bronze ... une médaille en chocolat ... l'argent sera donné aux Français pas aux étrangers comme vous ... vous nous faites perdre notre temps avec ces histoires". En fait, nous n'avons reçu cette médaille qu'en 1860, au rattachement de Nice à la France. Depuis, je suis fier de la porter et malgré toutes les horreurs de ces campagnes, je pense avec émotion à mes frères d'armes... Et aussi à Napoléon. C'était un homme, un vrai, un chef. On peut me dire de lui tout le mal que l'on voudra, je le porte sur mon cœur. Regarde ! Prisonnier à l'île d'Elbe, si loin sur cet îlot perdu dans l'océan, sur le point de mourir, il a pensé à nous "ses compagnons de gloire" et sans distinction entre français, italiens, juste des hommes. Regarde c'est écrit sur la médaille. C'est une leçon pour tous ceux qui nous ont méprisés au retour de la guerre. Après 1815, nous étions devenus des parias. D'un côté, les Français voulaient nous renvoyer dans notre pays, nous les étrangers. De l'autre, les Piémontais nous rejetaient, nous, les soudards qui avions déferlé sur l'Italie, l'Espagne, le Portugal et même la Russie... Pourtant, nous, nous n'avions rien demandé. Juste fait notre devoir. Avec courage ... Il en fall...

Sur le coup de l'émotion, la voix du vieux s'enraie, il se met à tousser et commence à s'étouffer.

— Donne-moi un peu d'eau ! Tu vois, je m'emporte pour rien. Je n'en parlerai plus. C'est fini tout ça. C'est du passé. Mon ami Raveu est mort et moi, à quatre-vingt-dix ans, je n'en ai plus pour longtemps. Mais avant, j'aimerais que tu m'aides. Je n'ai plus assez de force pour me débrouiller tout seul.



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Bonne lecture !





gravure du site splendide de l'Acadèmia Nissarda http://www.gravures-nice.org
Sur la gauche, l'église Sainte-Hélène au bord de la Baie des Anges. Sur la grève, on voit la batterie Pauline au centre et les pêcheurs qui tirent leurs filets. Au fond on entrevoit la ville de Nice dont le quartier Sainte-Hélène est encore une campagne. Cette batterie Pauline porte le nom de la soeur préférée de Napoléon.



]L'église Sainte-hélène en 1878. Le quartier semble plus urbanisé. La batterie sera détruite en 1894 et remplacée d'abord par une école primaire puis maintenant par l'hôtel Radisson.