accueil du site /
biographie de François Nespola, 1858-1911
Page précédente, l'auberge Falicon .
Cette suite est la deuxième partie de la biographie de François Nespola, 1858-1911.
Sous Napoleon, les jeunes Niçois ont dû participer aux campagnes de Napoleon. Du fait de leur intégration récente, le bataillon niçois a été envoyé pour "maintenir" la paix en Espagne. En fait la population s'est révoltée et les soldats ont dû faire face à la guérilla.
Napoleon, la Campagne d'Espagne, Les cauchemars de Gian Paolo
Tous les soirs, maintenant, Francesco vient dormir près du vieux Falicon. Les nuits sont agitées, le vieux fait des cauchemars. Il se réveille en hurlant. La première fois, Francesco avait pris peur et cru qu'on égorgeait son ami. Il avait bondi vers la chambre du vieux et l'avait retrouvé assis tout droit sur son lit, tout tremblant, à regarder fixement la fenêtre en la montrant du doigt.
— Qui va là ? dit le vieux
— Gian Paolo, qu'est-ce qui t'arrive ? Tout va bien, regarde la fenêtre est bien fermée.
— Là, là ! Regarde derrière le buisson, ils sont en embuscade. J'ai entendu craquer une brindille. Ils sont là, je te dis.
Francesco ne savait que faire, le vieux perdait complêtement la tête. Pour le calmer, il était rentré dans son jeu :
— T'inquiète pas ! C'est à mon tour de monter la garde. Tu peux te rendormir.
Et il s'était mis à siffloter pour marquer sa présence. Petit à petit, Gian Paolo s'était détendu et il avait pu le recoucher. Le vieux avait repris son sommeil, agité de petits gémissements puis plus serein, il s'était mis à ronfler doucement. Alors Francesco était retourné au lit et la nuit avait été courte.
À l'aube, réveillé comme d'habitude par les premiers chants du coq, il avait cherché l'eau au puits, fait le plein de bois, rechargé la cuisinière et vérifié que son ami dormait bien. Après une toilette rapide, il avait avalé sa soupe à peine tièdie sur le feu puis était parti à l'embauche des journaliers. Costanza viendrait s'occuper du vieux dans la matinée avant d'aller livrer le pain aux clients.
Le soir, le vieux Falicon lui avait raconté sa guerre d'Espagne, cette guérilla plutôt.
— Ce n'était pas une guerre comme les autres, en bataille rangée avec des victoires ou des défaites qui se concluaient en un jour ou deux. Bien sur, cette vraie guerre, je l'ai connue ensuite en Allemagne. Le rugissement des canons, la terre qui tremblait, les hommes blessés par les obus puis la charge, le corps à corps à la baïonnette. Elle était sanglante mais rapide. Quand tu y es plongé, tu n'as pas le choix. Surtout nous les voltigeurs qui étions en première ligne. Après la bataille, les champs de bataille étaient des charniers où il fallait ensuite ramasser les morts, les grands blessés et souvent malheureusement, tes amis. Pas beau à voir mais pour ceux qui en sortaient vivants, elle était moins éprouvante que cette guérilla nuit et jour.
Quand je suis arrivé en Espagne fin 1807, il ne s'agissait pas encore de guerre. Les Espagnols étaient, bon gré, mal gré nos alliés contre le Portugal et l'Angleterre. C'est pour celà qu'on y envoyait les jeunes conscrits inexpérimentés comme moi en marche vers le Portugal. Et puis en mai 1808, tout a basculé. Le peuple s'est soulevé pour garder son roi. ça, nous les niçois, on ne comprenait pas. Les puissants défilent et quels qu'ils soient, le peuple les paie tant que c'est supportable.

À Nice, que ce soit les Provençaux, les Français, les Savoyards, les Piémontais, les Sardes. Tout ça, ça nous dépasse. Les grands s'arrangent entre deux. Ils se distribuent les titres et les terres. Ne crois pas qu'on demande au peuple ! Tout ça, c'est de l'esbrouffe. Ici on aimait bien Victor Emmanuel II. Pas trop de taxes. Par contre quand il a supprimé la franchise du port de Nice en 1851 pour privilégier Gênes, il nous a trahi. On s'est vengé sur son oncle. T'as qu'à voir la statue de Carlo Felice sur le port. De rage, on lui a coupé le doigt ! Ce brave Carlo, c'était un arrière grand oncle de Victor Emmanuel. Il n'était pas responsable de cette mesure injuste. Il était mort vingt ans avant (1831). Au contraire, c'est lui qui avait accordé la franchise puis agrandi le port avec le bassin du fond en 1830. Je m'en souviens.
En fait, bien sur , ce n'est pas lui qui l'a creusé le port. Les grands décident, les petits exécutent. Ce sont les bagnards qui l'ont fait. Beaucoup y ont laissé leur vie. Faut voir comme ils étaient maltraités sous nos yeux par la chiourme. Peut-être pour nous dissuader de faire le moindre écart à la loi. Tu sais, il en fallait peu pour être condamné au bagne. Des indigents, pris en flagrant délit de vol à l'étalage des marchés. Des pères de famille qui ne pouvaient pas payer leurs dettes... Tout ça mêlé aux bandits et aux assassins. Maintenant le bagne est fermé, le bâtiment sert de prison .
Victor Emmanuel II, il en cumulait des titres : duc de Savoie, roi de Sardaigne, prince de Piémont et comte de Nice de 1849 à 1861. À Albenga aussi, ils ont dû t'en parler. En 1860, il avait échangé Nice et son Comté pour obtenir le soutien de la France contre les Autrichiens, réaliser l'unification et devenir le premier roi d'Italie. Tu sais, Victor Emmanuel II,c'est celui qui est mort en janvier de cette année. 1878 déjà, je ne pensais pas vivre si longtemps !
Mais je m'égare. Tu sais les vieux, c'est comme ça. Quand quelqu'un m'écoute, j'en ai des choses à raconter ! Je finis pour l'Espagne et ensuite on va se coucher. J'espère que cette nuit je te laisserai dormir. Tu as besoin de dormir. Demain tu travailles.
— Non, non ! Continue ! Jamais on ne m'a expliqué tout ça.
— Tu es bien gentil ! Tu sais en Espagne, ce n'étais pas une armée que nous avions à combattre. C'était tout un peuple. Ils nous harcelaient, de jour et de nuit et nous, en représaille, on prenait des otages dans les villages et on les fusillait. Dur de tirer sur des paysans comme moi alors que leurs familles nous suppliaient à genous de les épargner. Mais nous n'avions pas le choix. Sinon, c'était à notre tour de passer devant le peloton d'exécution.
Et ça a duré quatre ans comme ça et pour rien. Finalement leurs rois, ils les ont récupérés.
Et moi, j'en fais encore des cauchemars. Surtout les nuits de pleine lune. La guerre, ça détruit les hommes, ils meurent sur le champ de bataille ou à petits feux plus tard. Alors je te donne bien raison. Evite de faire l'armée puisque tu le peux. Se battre pour son pays, pour défendre sa famille, d'accord mais aller envahir les autres pays pour soutenir les querelles des puissants. Leur orgueil nous conduit droit à la ruine. Regarde Napoléon III et la guerre de 1870. Non seulement nous avons perdu mais c'est fou les taxes qu'on a subies pour payer les indemnités de guerre. Des millions ... Et encore, si c'était la dernière, mais la guerre, ça reviendra et avec le progrès des armes, ça fera encore plus de morts."
accueil du site /
biographie de François Nespola, 1858-1911
Page suivante, le jeu de la Morra .
Bonne lecture !