Pour résumer brièvement la documentation citée en fin de cette page :
les expositions ont "pour but principal l'enseignement pour le public, faisant l'inventaire des moyens dont dispose l'homme pour satisfaire les besoins d'une civilisation et faisant ressortir dans une ou plusieurs branches de l'activité humaine les progrès réalisés ou les perspectives d'avenir »1. Elles sont internationales par le fait que plusieurs États y participent."
Pour cette exposition de 1884, les progrès sont : l'électricité, l'eau courante dans les maisons et les jardins (matérialisé par la cascade alimentée par l'eau de la Vésubie)
il y a aussi deux ascenseurs dans les tours du bâtiment principal, un funiculaire au bord de la cascade et en ville des tours en ballon captif qui offrent une vue superbe sur la ville.
Par ailleurs, sous l'impulsion de son maire dynamique Alfred Borriglione, Nice se fait toujours plus belle : assainissement de la vieille ville, tramways à cheval, grands boulevards et prolongement de la Promenade des Anglais jusqu'à Carras en 1882 ... tout cela fournit du travail et la population s'accroit.
Les Niçois sont un peu réticents devant tous ces progrès qui parfois tournent mal : la jetée promenade part en fumée dès sa construction. Le gaz met le feu au théatre italien, le tramway suscite des collisions ...
Le futur boulevard Gambetta fait le lien entre la Promenade des Anglais et l'Exposition. Sur son tracé, le cimetière Saint-Etienne est déménagé à la hâte sur Caucade. "Le scandale est énorme : corps enlevés sans présence de la famille, pierre tombales abandonnées, ossements dispersés dans la nature ... "
Suite de l'histoire Nespola
Noël 1883, Francesco fait visiter le chantier avant l'ouverture au public de l'Exposition internationale.
Noël 1883, ça y est le canal de la Vésubie arrive à Nice. Après 32 kilomètres dont 10 de tunnel, ce projet pharaonique du maire Borriglione aboutit. C'est une réussite. Nice va pouvoir alimenter sa population croissante, aménager de nouvelles fontaines et lavoirs dans les quartiers populaires et surtout irriguer les collines pour y développer les cultures de légumes, de fleurs. Nice en a bien besoin. Les aménagements des rives du Var ne suffisent pas. Cette eau permettra aussi d'irriguer les parcs et les grandes pièces d'eau des "châteaux" bâtis sur les collines qui deviendront un vrai paradis sur terre : le jardin des Espérides ! Les orangers et citroniers vont remplacer tous ces vieux oliviers millénaires de moins en moins rentables, les pauvres !
Irriguer les collines, un projet de fou ? Non, Borriglione veut en faire la démonstration. L'eau de la Vésubie se déversera à flots sur la colline du Piol. C'est le clou de l'exposition : une large cascade de vingt-cinq mètres de haut, bordée par deux escaliers monumentaux et triomphe du progrès, deux funiculaires permettant de gravir la pente entre les deux niveaux de l'exposition.
Bien beaux tous ces projets mais les travaux, lancés en mars ont pris du retard. L'inauguration de l'Exposition était prévue en début de période touristique d'hiver mais elle est reportée au six janvier. Pluies, inondations et surtout délais trop courts pour bâtir en dur les fastueux bâtiments qui devaient rajouter au lustre de Nice pour les décennies à venir.
Délais trop courts ! Francesco en sait quelque chose. Le canal vient juste d'atteindre Nice et il a aussitôt été mobilisé pour ce chantier qui fonctionne jour et nuit. Les équipes se relaient et malgré ça, en janvier, pour l'inauguration ce sera loin d'être fini mais tous ces travaux, ces contre-temps, il ne risque pas de s'en plaindre ! Il s'est proposé pour les nuits, c'est mieux payé. En six mois, il a déjà accumulé une belle somme. C'est plus dangereux, bien sûr, le chantier est mal éclairé. Difficile de contrôler le travail. Récemment un échaffaudage mal arrimé s'est écroulé faisant 6 morts et des blessés. Heureusement ce n'était pas son équipe. L'ingénieur du chantier a beau promettre des primes pour faire toujours plus vite, la priorité de Francesco c'est la sécurité de ses compagnons. De braves gens, travailleurs, beaucoup chargés de famille. Que dirait-il aux veuves et aux orphelins ?
En un an d'équipe commune, c'est devenu sa famille. Avec ces Italiens, les chansons que lui chantait son père lui sont revenues en mémoire et maintenant il en connaît toutes les paroles. En montagne, chanter en travaillant ne dérangeait personne mais sur le chantier, les Français les trouvent bruyants et ils doivent se faire discrets car "ils volent le travail des Français". En fait, il y a largement du travail pour tous et des ingénieurs sont venus de toute la France pour installer le funiculaires, l'électricité ... Eux, ils sont terrassiers, maçons .. Quand il voit les apprentis courir chargés des lourds seaux de plâtre sur les poutrelles en bois rendues glissantes par la pluie, à dix mètres de haut à la lueur des lampes à pétrole, il a peur. Pourtant il en faut du plâtre pour couvrir les parois en bois. Elle ressemble à un bâtiment en pierre mais c'est juste une ossature bois sur laquelle on plaque des tonnes de plâtre. Francesco n'en revient pas : oser construire un si grand bâtiment en bois. à Albenga, il avait vu construire. Le bois, c'était bon pour les granges. Pour les maisons, elles étaient toutes en pierres, tout comme leur maison de Ginestière. Cette exposition, c'est pas du durable, ça ne résistera pas au temps. Pourvu que des plâtras ne s'écroulent pas sur les visiteurs !
Le palais de l'exposition est immense. Il se dresse fièrement sur le plan du haut, au dessus de la cascade. Ses tours rappellent de mauvais souvenirs à Francesco : elles ressemblent à la maquette que le peintre Ziem recopiait dans son atelier : une mosquée avec des minarets. Dans ses cauchemars il revit souvent la scène : "De quel droit osez-vous venir me proposer vos services ? .... forte tête, un voleur peut-être ... ". À chaque fois, ça le réveille en sursaut. Heureusement que maintenant il a réussi : chef d'équipe bien payé.
Petit à petit, le chantier avance tout de même et aux premiers essais d'éclairage électrique, Francesco est ébahi : on y voit comme en plein jour ! Il y a aussi le grondement de la cascade, le grincement des funiculaires sur leur crémaillère. Francesco est projeté dans un monde qu'il n'aurait jamais imaginé. Il voudrait que sa famille voit ça mais l'entrée sera payante et bien trop chère. Dommage car ce monde, ce sera celui des enfants de Costanza .. il faut les y préparer.
Il veut absolument que sa famille voit l'exposition. Il a une idée : leur faire visiter AVANT l'inauguration. Il compte les faire entrer sur le chantier à la relève des équipes. Ses frères peuvent se glisser dans le flot des ouvriers quand il prendra son service de nuit.
Au modeste repas de Noël qui réunit la famille à Ginestière, il en parle à ses deux frères : Michele hésite un peu. Beaucoup de risque pour rien, tout ce progrès, ce n'est pas pour eux, les pauvres gens. Le tram, il ne l'a jamais pris. À quoi bon payer le tram alors qu'on peut marcher ? Battiste, lui, est enthousiaste. Ses yeux brillent d'excitation.
Alors il les équipe de vieux pantalons plein de plâtre et sitôt la fin du repas, ils partent. Au contrôle d'entrée de l'exposition, Francesco montre son laisser passer et déclare que ses deux compagnons sont de nouvelles recrues qui n'ont pas encore leur passe. Comme le chantier recrute beaucoup pour finir les travaux dans l'urgence, on les laisse passer.
- Risquent pas d'inaugurer dans 10 jours, tous ces beaux Messieurs vont patauger dans la boue, gromelle Michele tandis que Battiste se dévisse la tête pour tout voir : en haut, au fond, trônant sur l'immense cascade, le grand palais, tout blanc avec ses volutes de stuc et ses mosaïques et autour d'eux, les pavillons de Monaco, Cannes, Menton, les grands palmiers déjà en place comme s'ils y avaient toujours été, les orangers, citroniers ...
- Les jardiniers ont eu du travail ici !
- Non, c'est un architecte qui commande des terrassiers venus de la montagne. J'en ai reconnu un qui venait de Saint-Jean-La-Rivière, il travaillait au canal.
- Quand même, il connaît bien nos plantes. Regarde les oliviers, les arbousiers et même un néflier du Japon ... comme au parc du Var.
- Chut ! parle plus doucement, Francesco tempère l'enthousiasme de son cadet, on n'est pas ici pour flâner. Tu vas nous faire remarquer. Mais tu as raison, il est du pays. C'est le gendre de Monsieur Karr. Tu sais celui qui a organisé le marché aux fleurs. Pour cette exposition internationale, il y a des plantes d'ici et beaucoup d'autres que je n'avais jamais vues. Dans cette serre en construction, il y en aura encore plein avec des oiseaux exotiques.
Tout en chuchotant entre eux, ils se hâtent vers la cascade et commencent à gravir les marches du grand escalier qui mène au plan supérieur et au palais. Michele peine à les suivre, il manque de souffle alors Francesco s'aarrête sur le premier palier et leur montre en haut de l'escalier les trois grandes sculptures bâchées.
- Je les ai vues, il paraît que c'est Nice entourée du fleuve Var et de la Vésubie. En fait c'est des statues de femmes.
Le jour commence à tomber dans la grisaille. Arrivés devant le palais, ils font attention de ne pas trébucher sur les sacs, les poutrelles et les gravas qui jonchent le sol irrégulier. Tout d'un coup, un moteur se met en marche et tout s'éclaire d'une lumière blanche éblouissante. Des milliers de lampes s'allument ; ça n'a rien à voir avec les lampes fumeuses des réverbères à gaz qui n'éclairent qu'un halo à leurs pieds. Là la lumière jaillit et on y voit mieux qu'en plein jour !
Michele et Battiste se regardent ébahis. à leurs pieds, les vastes jardins, les pavillons, la cascade qui gronde et se fracasse sur les rochers en une miriade d'étoiles de pluie. Un enchantement ! Ils sont dans un autre monde, celui du vingtième siècle qui s'annonce déjà et qu'ils auront toutes les chances de voir. En 1900, Michele aura 44 ans, Francesco 42 , Battiste 34. Battiste sourit comme un enfant, à 17 ans il rêve de découvrir le monde. Francesco est content et fier. Il a eu raison de les emmener.
Derrière eux, par les fenêtres du palais, ils entrevoient des galeries de tableaux.
- Ce sont les pavillons des Beaux-Arts, ici c'est les peintres français, dont des Niçois, de l'autre côté les étrangers
L'enchantement dure peu car avec un bref claquement, tout s'éteint et ils replongent dans une pénombre faiblement éclairée par les lampes à pétrole accrochées aux échafaudages.
- ça risque pas de marcher, leur truc. Feraient mieux de mettre des réverbères ! ricane Michele.
Francesco serre les poings. Toujours le même celui là, c'est pas avec lui que le monde avancera. Francesco est sûr que les ingénieurs vont y arriver. Ils l'ont déjà fait à Paris.
- Et toi, où est-ce que tu travailles ? demande Battiste.
- Tout au bout de la grande galerie à l'intérieur du bâtiment mais on va passer par l'extérieur car plus question de trainer nos pieds boueux dans l'entrée et les pavillons des beaux arts. Ils sont prêts pour l'inauguration. Continue tout droit, on va contourner la tour à droite. Regarde il y a même un pavillon pour l'Algérie avec des tissus et de grandes affiches ! ça a l'air beau ce pays.
- Moi, j'ai hâte de le rejoindre ! Tous les contingents partent à Alger. Je veux partir ... voir du pays ...
- Meffi, s'exclame Michele, pas urgent d'aller risquer sa vie pour France ... se battre contre les Turcs ... pourvu qu'Honoré en revienne vivant. Je me demande si toi, Francesco, tu n'as pas eu raison de rester Italien, tu as échappé à la conscription.
Francesco plisse les yeux. Il se souvient de leur querelle à ce sujet, ils avaient failli en venir aux mains. Francesco avait quitté la maison pour ne plus vivre avec Michele. Il l'observe à la dérobée. Cet aîné, bourru et obstiné, se montre sensible, conciliant même. Que lui arrive-t-il ? Il doit être vraiment malade. Francesco le voit bien, Michele et sa mère ne pourront pas entretenir seuls le domaine de Ginestière très longtemps, le domaine n'est pas assez rentable pour Amirati, les oliviers ça ne paie plus. Il le vendra pour investir dans un immeuble en ville et mettra ses métayers à la porte. Où iront-ils ? Francesco ne veut pas les abandonner. Si seulement Michele devenait raisonnable ...
Et ce domaine, Francesco veut le racheter, en plusieurs fois comme ça se fait, un capital de départ et des hypothèques à rembourser sur 5 ou dix ans. C'est son projet secret, le but de tous ses efforts. Conserver cette grande maison assez vaste pour tous. Bientôt l'eau arrivera sur la colline et pour la culture des fleurs, il y aura bien besoin de tous. Ce rêve est un peu teinté d'amertume. Enfant il s'imaginait épouser Francesca Amirati, si belle, si gentille, courageuse aussi ... leurs enfants auraient couru dans la vigne se seraient gorgé de raisins et pourquoi pas d'oranges. Dans les rêves d'enfants, tout est possible mais la vie se charge vite de laminer vos ambitions.
Arrivé aux pieds du chantier de Francesco, Michele est surpris et perplexe.
- Ça a l'air de la pierre mais c'est du plâtre ? Tu es sûr que ça va tenir ? Si ça s'écroule, ils te mettront en prison. Fais attention petit, ce rôle de chef d'équipe c'est bien payé, tu as eu raison de l'accepter mais si ça tourne mal tu seras responsable.
- Sûr que j'aurais préféré construire un vrai bâtiment en pierre comme nos maçons italiens savent le faire au lieu de ce vaste hangar fardé de plâtre. En plus du plâtre, c'est incroyable les quantités qu'il faut. Mais ne t'inquiète pas pour moi, Michele. Les responsables, ce sont les architectes qui ont décidé de construire en bois et de recouvrir de plâtre. J'ai entendu leurs discussions, ça criait fort sur le chantier. L'ingénieur en chef voulait une structure métallique ... comme la tour Eiffel de l'Expo de Paris ... mais il n'avait pas les matériaux et le Maire n'a pas voulu attendre. Paraît que ça va tenir. Regarde la hauteur des deux tours, ils y rajoutent même le poids incroyable des ascenseurs. Tu sais les monte-charge de chantier maintenant ils accrochent des cabines à des cables tirés par des moteurs et c'est très très lourd. Les gens qui s'y risqueront, auront une vue magnifique sur Nice.
- Moi, dit Battiste, j'aurais trop peur. Je préfère essayer le ballon qu'ils accrochent au boulevard. Il monte beaucoup plus haut, bien sûr, il faut avoir le coeur bien accroché mais c'est moins dangereux et moins cher que le ticket de l'exposition. Grâce à toi, cette exposition Internationale, on l'a vue. Ce Noël je m'en rappellerai toujours !!!
- Moi aussi, reconnaît Michele en leur tapant dans le dos.
- Je suis content, dit Francesco. Repartez discrètement ! À la grille de sortie, ils vous fouilleront peut-être, c'est normal. Dites que vous faîtes partie de l'équipe de jour des plâtriers et que vous venez juste de finir.
France Archives, l'exposition internationale : La ville de Nice était en pleine mutation lorsque son maire, Alfred Borriglione (maire de Nice de 1878 à 1886), inspiré par le succès de l'Exposition Universelle de Paris en 1878, proposa au Conseil municipal l'audacieuse idée d'une Exposition internationale, agricole, industrielle et artistique (équivalent d'une Exposition Universelle mais organisée en province).
1882- La première jetée promenade. Un palais flottant en verre sur le modèle des « piers »1 qui sont en vogue à cette époque en Grande-Bretagne. Construite entre 1880 et 1883, elle a brûlé dès son inauguration. Elle n'a été reconstruite qu'en 1888. Donc dans le contexte de cette page, en 1882-1884, la jetée est partie en fumée. Il en a été de même en 1881 pour le théatre italien, notre opéra actuel.
L'exposition internationale
L'exposition internationale se situe au nord ouest de la gare et l'entrée donne sur le boulevard Gambetta, au niveau de l'avenue Vernier actuelle. L'entrée Les jardins avec la cascade Les jardins avec la cascade et les deux funiculaires. Alfred Borriglione, né le 17 février 1841 à Nice (alors province de Nice du royaume de Sardaigne) et mort le 29 août 1902 à Sospel, est un homme politique républicain français, avocat, maire de Nice, député et sénateur des Alpes-Maritimes sous la Troisième République. Il a lancé de grands projets pour Nice
dont le Canal de la Vésubie et essayer de promouvoir le tourisme, source essentielle de revenus pour la ville, par tous les moyens dont cette exposition internationale et l'ouverture du Casino en bordure de la place Masséna et sur la couverture du Paillon. Bel article du site maiores nostri En effet, les activités traditionnelles de Nice s'amenuisent, l'oleiculture est concurrencée et la parfumerie se déplace vers Grasse.panorama de l'expo sur fond de la Baie des Anges .
Sur cette lithographie, en bord de mer, l'ouest de Nice avec la petite colline des Baumettes et son château puis le cap d'Antibes et tout au fond les roches rouges du massif de l'Estérel.
Le 23 mars 1881, incendie du théatre italien de Nice dû à une fuite de gaz.