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Ensemble du livre : biographie de François Nespola, 1858-1911
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L'hiver 1884-1885


Pour résumer brièvement la documentation citée en fin de cette page :

Suite de l'histoire Nespola



Septembre 1884, l'altercation avec le propriétaire

Les inquiétudes de la mamma se révélèrent vite fondées. La discussion avec le propriétaire tourna mal. Elle faillit même tourner très mal quand Francesco voulut étrangler Ammirati. Heureusement, Michele les sépara à temps.

Quand Cattarina revint du jardin, Francesco bouillait encore de rage. Il avait proposé de racheter le terrain, Ammirati lui avait ri au nez et pire, il l'avait traité de voleur :

— Comment, toi, pauvre Italien, tu prétends acheter mes terres ! Ton argent tu peux le garder . Et qu'est-ce que c'est ces hypothèques que tu proposes. Jamais je ne te ferai crédit. Moi, il me faut du bel argent sonnant et trébuchant. Des louis d'or, une montre en or par exemple, tu en as peut-être ? Tu sais ceux que tu as volés au vieux Falicon. Tu as beau faire le beau avec ton arrogance de rastaquère, tu ne trompes personne et moi encore moins.

Francesco sortit en claquant la porte, il faillit même renverser le panier de figues que sa mère rapportait du jardin et il se retint de s'en prendre au cheval d'Amirati. Pauvre bête, elle n'y était pour rien. Pendant ce temps, Michele essayait de calmer Ammirati tout en l'admonestant :

— Qu'est-ce que vous avez dit là à mon frère ? Vous avez osé le traiter de voleur ! Son argent il l'a gagné en suant sang et eau et au péril de sa vie sur les chantiers.

Cattarina n'en revenait pas d'entendre ces mots.

— Quoi, traiter mon fils de voleur ? Nous les Italiens nous avons notre honneur. Votre argent et votre domaine, vous pouvez les garder. Nous partirons demain si vous le voulez. Et bien contents encore. En ville le travail ne manque pas.

Elle allat chercher l'argent du fermage dans le tiroir et le lui jeta à la figure. Ammirati se rendit alors compte de la gravité de la situation. Pour en tirer un bon prix, la vente ne se ferait pas du jour au lendemain. En attendant, il allait se retrouver sans fermier et un domaine mal tenu se vendrait mal. Bien sur il pouvait mettre en place une autre famille mais c'était bien hasardeux. Confier cette maison aux premiers venus. Les Italiens maintenant n'étaient plus aussi travailleurs. En plus, avec la France, il y avait des lois qui protégeait les fermiers .. Qu'avait-il eu besoin de parler de ces ragots au sujet du vieux Falicon ? Francesco à coup sûr n'était pas un voleur. Il l'avait connu tout petit. Honnête, certes mais prétentieux et puis comment avait-il réussi à amasser tout cet argent. Ce jeune avait épargné en cinq ans plus qu'Ammirati n'en avait gagné en deux ans et pas question d'en mettre de côté. Sa solde de greffier suffisait à peine à maintenir leur train de vie de petit bourgeois, sa belle-mère s'en plaignait amèrement. "Ma fille a épousé un raté aussi incapable de gérer sa carrière que nos terres". Vendre pour investir en ville, c'était bien l'idée de cette vieille harpie. Ce domaine, il l'aimait. Il rêvait de s'y réfugier à l'ombre des oliviers, entouré de petits enfants qui y joueraient à cache-cache sur la colline. Un peu comme aux temps heureux de ses visites avec sa petite Francesca.

Michele ramassa soigneusement les pièces en les recomptant et les tendit à Ammirati :

— Il y a plus que l'année dernière. Les fleurs commencent à rapporter, c'est le début, l'an prochain, il y aura le double.

Pas suffisant pour la dot de Francesca mais Ammirati acquiesça, reprit son chapeau et salua Cattarina en bredouillant des regrets. Celle-ci ne leva pas les yeux, elle avait regagné sa place assise au coin de la fenêtre et les larmes roulaient doucement sur ses joues frippées. Michele le raccompagna. Il détacha le cheval et aida Ammirati à se hisser sur le coupé. Le propriétaire repartit doucement. Le cheval connaissait la route et le ramènerait bien assez tôt en ville où l'attendait sa belle-mère et toutes ces prétentions.

L'hiver 1884-1885 à Ginestière

Au début Michele et Francesco avaient fait bonne équipe. Michele, soulagé d'avoir de l'aide, reprenait des forces et de la bonne humeur. Ainsi il laissait Francesco agrandir le petit potager, planter et récolter les premières fleurs. Le matin Francesco se levait à l'aube pour aller livrer les bouquets et les légumes au marché tandis que Michele essayait de sauver la vigne en brulant systématiquement les pieds atteints. En vain, la vigne était perdue.

Petit à petit, la jalousie de Michele avait repris le dessus. Francesco avait réussi à rendre le sourire à la Mamma. Cattarina rajeunissait ! Elle s'activait du matin au soir au lieu de rester prostrée au coin de la fenêtre. Elle chantonnait même .. Tout ça parce que Francesco était revenu. Tout pour Francesco. En plus Francesco réussissait tout et lui rien. Michele devenait de plus en plus nerveux et agressif. Alors les deux autres échangeaient des sourires dans son dos.

Alors Michele commença à saboter le travail de Francesco : d'un coup de pieds rageur, il détournait les rigoles. L'eau se perdait dans la colline au lieu d'irriguer les légumes. Cette eau si précieuse ! Il provoquait son frère en ironisant :
— Ammirati sera content. Tous tes efforts seront payants. Il vendra encore plus cher !
— Arrête. C'est nous maintenant qui mangeons ces légumes et Mamma fait des conserves pour l'hiver. Pour le reste on verra bien plus tard.

En fait, Francesco partageait l'amertume de Michele et il ne s'était pas remis de l'échec de son projet : acheter ces terres et rassembler toute sa famille pour y cultiver les fleurs. Ces fleurs ça rapportait mais ça demandait beaucoup de travail. Alors Battiste aurait pu revenir vivre avec eux au lieu de trimer pour d'autres. Lui aussi voulait devenir jardinier mais, Michele avait raison, en septembre de l'année prochaine tous ces rêves allaient se transformer en cauchemars. Entre temps, Ammirati aurait bien trouvé un acheteur et la bonne tenue du domaine allait en augmenter le prix.

Ces sombres pensées, Francesco le minaient. Il les cachaient soigneusement en gérant au jour le jour. L'essentiel, c'était que Michele et sa mère reprennent des forces. Ensuite on verrait bien et puis de bricoler ainsi, d'essayer de nouvelles méthodes de jardinage, ce n'était pas du temps perdu. ça semblait même rentable dans l'immédiat. Petit à petit, il réussissait à écouler les légumes à un meilleur prix. Au lieu de porter la récolte au revendeur du petit marché de Carras, il s'arrêtait à la maison Bouroul, prenait les fleurs de Vincent et poussait son charreton jusqu'en ville en livrant au passage certaines villas dont Vincent avait les entrées : en échange de fleurs ou de petites courgettes toute tendres cueillies du matin, il recevait un peu d'argent ou parfois des vêtements. Cette vente directe était rentable. D'autant plus rentable que Ammirati ne risquait pas d'en voir la couleur. Pour les vêtements, ils étaient destinés à Catherine Bouroul. Souvent des robes pratiquement neuves dans de beaux tissus que la couturière adaptait pour ses clientes de Carras. Au retour, il ramenait les paniers vides et il partageait les gains avec Vincent. À chaque fois Catherine sortait leur porter un encas : un peu de tourte ou de pissaladière ou un gâteau.

Avec l'hiver, les livraisons de fleurs s'intensifièrent. À cela, s'ajouta la récote des olives et la taille. Cette année cette taille des oliviers fut sommaire. à quoi bon faire du zèle, en septembre 85, peu de chances que le fermage soit renouvelé, en tous cas pas avec Francesco. Il n'y tenait pas vraiment. La jalousie permanente de son frère finissait par l'user et il s'attardait de plus en plus chez Vincent devenu son grand ami. Vincent avait besoin d'aide, non seulement pour livrer les fleurs mais aussi pour préparer le terrain qu'il fumait abondamment pour les futurs légumes de l'été.

Le jardin était harmonieux avec des carrés de plantes aromatiques, des fleurs, quelques agrumes : orangers et citroniers et au fond les légumes. Côté mer, une haie mixte de chèvrefeuille d'hiver, de mimosas et de cognassier du Japon explosait de couleur et de senteurs. Sur la Promenade des Anglais, une modeste clôture en bois empêchait de s'approcher pour casser les branches. Au petit portail, dans un renfoncement à l'ombre, Catherine avait eu l'idée de préparer des bouquets qui attendaient bien au frais dans des seaux d'eau avec une étiquette de prix. Les promeneurs pouvaient ainsi se servir et glisser l'argent dans la boite aux lettres du portillon. Cette idée, elle l'avait eu du temps de la maladie de son père. Au début, le vieux Bouroul s'y était opposé.

— Qu'est-ce encore que cette idée ? Les gens vont prendre les fleurs et oublier de payer. Et même s'il y a un peu de sous, les chenapans du quartier vont casser la boite ou voler les seaux.
— Tu as raison Papa mais je compte sur toi pour monter la garde. De la fenêtre de ta chambre, tu pourras surveiller.

C'est ce qu'il fit et cela agrémenta ses journées. Les passants s'arrêtaient volontiers, cela devenait même un but de promenade pour les hivernants tout fiers de ramener en ville ces fleurs fraîches et odorantes, témoins de leur expédition à Carras, tout au bout de la Promenade. Au passage, ils faisaient un petit signe de main au vieux qu'ils voyaient derrière sa vitre. Le soir Bouroul racontait et commentait la mode, les beaux équipages et les acheteurs réguliers auxquels il avait donné de petits noms : l'amoureux, la dame au vison, la vieille et ses deux bichons .. Quant aux chenapans, ils avaient bien essayé mais pas récidivé après les premiers hurlements du vieux. Bouroul était respecté et craint. Après sa mort, les habitudes étaient prises et finalement d'un bon rapport.



Cattarina et Francesco se voyaient pratiquement tous les jours mais Francesco n'osait pas aborder un sujet sensible. Il était attiré par Cattarina, il en rêvait la nuit. Il admirait son courage, toutes ses idées, son optimisme. Il voyait bien toutes les attentions que Cattarina lui prodiguait, le soutien amical de Vincent mais il n'osait rien dire de peur que sa demande ne soit rejetée. Elle était trop bien pour lui. Cattarina était riche, dans cette maison bien située, accepterait-elle d'épouser un pauvre paysan sans terre comme lui ? Toutes ses économies, tous ses efforts, ça n'avait pas suffi. Pire, comment venir habiter cette maison Bouroul comme le lui proposait Vincent. Il se souvenait amèrement des voisins d'en face, ces Falicon, les cousins de Cattarina, qui avaient osé le traiter de voleur.

Vincent voyait bien que ces deux là étaient amoureux mais restaient englués, Francesco semblait amoureux mais ne se décidait pas. Pourtant Vincent voyait bien qu'il n'était pas heureux à Ginestière. Il devenait amer, pessimiste même tout le contraire du Francesco qu'il avait connu. Cattarina, elle, elle se pensait trop vieille .. et à force d'attendre, elle ne pourrait plus avoir d'enfants. Ces deux là se rongeaient le sang pour rien. Alors un matin il décida de mettre les pieds dans le plat.
— Cattarina elle te plait bien ?
— Oui, marmona Francesco, en s'empressant de charger le charreton pour aller livrer les fleurs.
— Alors qu'est-ce que tu attends ? Elle se morfond et pense qu'elle n'est pas assez bien pour toi, que tu ne l'aimes pas ..
— Je n'ai même pas de maison pour fonder une famille.
— Basta, tu sais bien que notre maison t'attend. Françoise la première et Antoinette et les enfants et moi. Nous avons besoin de toi.

Francesco ne répondit pas, il préféra s'enfuir. Son coeur battait la chamade. Au retour de la ville, comme à l'accoutumée, Cattarina l'attendait. Dès l'arrivée de Francesco, Vincent s'était éclipsé prétendant du travail urgent au fond jardin. Elle était hésitante, un peu rougissante. Alors il se décida.
— Cattarina, veux-tu d'un pauvre paysan comme moi ? Tu sais je ne peux pas te promettre la grande vie, les sorties, le théatre .. mais on pourrait essayer d'être heureux. Je t'aime tant.

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Le futur opéra de Nice

Opéra de Nice côté nord
Opéra de Nice, Façade côté nord,Site Wikipédia
Opéra de Nice IMG 1254
Opéra de Nice, Façade côté mer,Site Wikipédia
Intérieur en fer à cheval,Site Wikipédia

En 1882, la Promenade des Anglais est aménagée jusqu'à Carras

Promenade des Anglais
Progression de la Promenade des Anglais de 1823 à 1903
Promenade des Anglais 1865
En 1865 à partir de Magnan, le chemin. La Route de France vers Magnan, 1865 Jules DEFER Huile sur toile 47,5 cm. x 71,5 cm. - Signée, datée b.g, n.t. Nice, Musée d'Art et d'Histoire

Généalogie et cadastre



acte du mariage Nespola-Bouroul
Acte du mariage de Francesco et Cattarina. Cliquer sur l'image pour l'agrandir.
Ils se marient le 27 avril 1885. François, Antoine, Joseph a 26 ans. Il est jardinier. Sa mère Catherine Vignola assiste au mariage et y consent.
Catherine Bouroul a 6 ans de plus. Elle est couturière. Sa mère Françoise Falicon, assiste au mariage et y consent.
François a été dispensé d'obligations militaires car fils d'étranger.
Les témoins sont l'architecte André Cagnoli et deux employés de mairie.
Cadastre 1872, Nice Bellet Var.


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