Canal de la Vésubie
Vue du "Canal de la Vésubie"
pour sa portion sur la commune de la Roquette sur Var (Alpes-Maritimes, France), construit en 1880 pour amener à Nice l'eau de la Vésubie à partie de Saint Jean la Rivière. Le village sur le promontoire est Bonson.

Canal de la Vésubie-2


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La question de l'eau à Nice

Sur les collines de Nice, on voit encore maintenant de nombreux bassins ronds, cylindriques du fait de leur hauteur. Ces bassins permettaient d'arroser les cultures de fleurs qui avaient remplacé les oliveraies fin 1890 -début 1900. Pour raconter la vie de cet ancêtre jardinier, j'ai voulu en savoir plus sur cette question de l'eau à Nice.
Pour résumer brièvement la documentation citée en fin de cette page :

Suite de l'histoire Nespola



L'hiver 1880 fut encore bien pire pour François ou plutôt Francesco car bien que né à Nice et plus instruit que la plupart des paysans, ces Falicon qui le dénigraient, plus question de se considérer comme Français. Il faisait maintenant partie des journaliers italiens, employés au hasard des chantiers qui s'ouvraient mais la crise touchait l'immobilier et ralentissait les investissements. Il fallait payer les dommages de guerre aux Allemands et les impôts étaient écrasants.

Quand il ne trouvait pas d'embauche, il allait aider son beau-frère à remettre en état la propriété de la Madonnette, elle en avait bien besoin. Pendant les 5 ans de service militaire de Barthélémy, les parents Auda avaient fait ce qu'ils pouvaient mais ils n'avaient pas l'énergie des jeunes et surtout ils hésitaient à mettre en pratique les conseils de la nouvelle Chambre d'Agriculture. Ils cultivaient comme leurs anciens : entretenant les oliviers et vivotant en quasi autarcie. Quelques chèvres, deux, trois moutons, des poules et des lapins et les légumes de leur petit jardin. Suffisant pour ce couple âgé mais pas pour la famille que Costanza et son mari voulait créer.
Barthélémy et Costanza voulaient cultiver des orangers, des fleurs. Constanza avait déjà des clients, ceux de la boulangerie. Quand elle leur livrait le pain, ils luis demandaient "la prochaine fois, porte nous un lapin .. ou une poule ou des œufs .." et à chaque fois, elle avait toujours à cœur de rajouter un petit plus : des fleurs ou un œuf, treize à la douzaine. Toutes ces petites surprises et son caractère gai et enjoué faisaient qu'elle était toujours la bienvenue. " Tu es notre rayon de soleil" lui disait une vieille dame, une parisienne restée sur la Côte pour ses vieux jours.

Mais la production n'était pas suffisante. Il fallait réaménager le terrain : construire une nouvelle bergerie en haut du terrain. Y rajouter le poulailler et enclore le tout pour que les animaux ne descendent pas ravager les cultures. Ces dernières avaient besoin d'eau, la citerne ne suffisait pas, elle étaitréservée pour la famille. Alors Barthélémy prévoyait un système ingénieux : récolter l'eau de pluie des toits de la nouvelle bergerie, une partie irait dans l'abreuvoir et le surplus dans une série de tonneaux. Il voulait aussi capter la source du fond du vallon et la canaliser vers les planches cultivées.
Pour tous ces travaux, l'aide de Francesco était appréciable pour mettre en place la charpente, creuser les tranchées ... surtout que Costanza devait être prudente pour le furur bébé qui se faisait de plus en plus lourd dans son ventre. Les deux hommes s'entendaient bien mais au repas de midi, elle voyait bien que son frère Francesco mangeait à peine. Il avait un peu honte de partager leur repas sans pouvoir y contribuer.

Elle s'inquiétait pour son frère et n'était pas la seule. À chaque fois qu'elle passait voir son amie, Catherine Bouroul, celle-ci lui demandait toujours des nouvelles de Francesco :

— Depuis que Gian-Paolo est mort, je ne le vois plus ton frère. que devient-il ?
— ça va ...
— Tu n'es pas bien bavarde. Que me caches-tu ? Je pensais être ton amie.
— Oui, c'est pas pour te cacher des choses mais je ne sais pas ce qu'il va devenir. Il est venu dimanche à la maison. Il dit que tout va bien mais je le vois bien, je le connais mon frère, c'est un grand sensible . Il est épuisé et devient hargneux quand on lui pose des questions..
Heureusement, il s'entend bien avec Barthélémy. à eux deux, ils font des merveilles. La bergerie sera bientôt finie et sur le côté ils m'ont installé un poulailler moderne avec des niches pour pondre ! Sans entrer dans le poulailler je peux récolter les œuf en soulevant le toit des pondoirs. Faut dire que les poules y seront bien à l'abri des renards et des buses. L'enclos est entièrement grillagé, sol et plafond. Bien sur, tout ça, ça fait des frais et on fait les travaux petit à petit.
— Quand tu le vois, dis lui que j'ai pris de ses nouvelles. J'aimerais bien le revoir à l'auberge.
— Tu sais l'auberge, il ne risque pas d'y retourner. Depuis que tes cousins l'ont accusé de vol, il ne veut pas les voir et ça vaut mieux car il serait capable de leur casser la figure et cette bande de lâches appellerait les gendarmes.
— Dis lui au moins de me faire un petit signe quand il passe devant la maison. Quand je ne suis pas à l'auberge, je suis à ma couture.
— Oui, mais ton père ne l'apprécie pas et n'aimerait pas le voir roder autour de sa fille. "Un prétentieux, un rastaquouère dans son beau costume de dimanche alors qu'il n'a même pas de toit pour se loger ... ".
Je sais bien qu'il le méprise, mon frère. Tout comme il me mépriserait moi si je n'avait pas épousé le fils Auda, un vrai niçois, lui, pas comme ces italiens venus voler le travail.
— Mon père, tu sais, il se fait vieux. C'est vrai que ça n'arrange pas son caractère et que, si je l'avais écouté, ça fait depuis longtemps que je serais mariée comme ma sœur. Vincent, son mari est de Carras et de bonne famille. Les Martin sont bien renommés à Carras .. en plus Vincent sait y faire avec mon père. Il est très gentil et lui donne toujours raison. Une bonne pâte, comme on dit. Ma sœur a bien fait de suivre les conseils des parents mais moi, tu le sais bien , c'est Francesco qui me plaît ..
— Tu risques de ne pas le voir pendant quelques mois car son chef d'équipe du tram lui a proposé de le rejoindre sur le chantier du canal de la Vésubie.
— Le canal ! Tu es sure ? C'est dangereux. Ils manient des explosifs pour creuser les tunnels à travers la montagne et il y a déjà eu des éboulements et des morts. En plus, en ce mois de février, ici il fait beau, les mimosas fleurissent mais dans la montagne, il gèle à pierre fendre. À l'auberge, ils en parlent beaucoup pour dénigrer le projet de notre maire Borriglione . "ces travaux pharaoniques avec nos sous, qu'ils disent, et voués à l'échec ". Hier encore un ouvrier italien est mort, sans compter ceux qui meurent de fièvres dans ces montagnes. Ils suent sang et eau et dans ces gorges, le vent froid de la rivière les achève.
— Hé oui ! Je le sais. Moi aussi, je m'inquiète mais c'est payé et ils sont nourris et logés sur le chantier. Et pour les travaux, c'est un peu pour nous les paysans des collines que Borriglione les fait. Il veut irriguer les collines. Tu sais, on en aura bien besoin pour les orangers. Quand Barthélémy a ramené ces plants de la chambre d'agriculture de Magnan, son père lui a dit "T'es fou ! L'été, ils crèveront, ces plants. il leur faut de l'eau." En attendant, Barthélémy canalise la source du vallon. L'été, il y a reste toujours un filet d'eau.
— Mais ces travaux, il y en a pour des années. Francesco va m'oublier. Sûr que les filles de la Vésubie, à Saint-Jean-La-Rivière, elles ne vont pas mépriser ces jeunes italiens. Il paraît que le dimanche, ils font des fêtes, des bals. Ils aiment chanter et boire. Et mon beau Francesco, en habit de dimanche, il est si beau. Un vrai "Monsieur", comme on dit maintenant. Et peut-être que je suis trop vieille pour lui .. vingt-huit ans et lui vingt-deux.. six ans de plus .. mes soeurs sont déjà mariées et ont des enfants. Je vais finir vieille fille.
— Ne t'inquiète pas pour ça ! Vincent a dix sept ans de plus que ma soeur et ils s'entendent très bien. Francesco est réservé, un peu trop solitaire même. Il ne risque pas de passer sa vie et son argent à faire la fête et la baïette aux filles. Sa paie, il l'économise et je crois bien qu'il fait ça pour toi. Il a promis d'écrire tous les dimanches. Je te montrerai les lettres et tu pourras me les relire car moi, la paysanne d'Albenga, je ne sais pas. Pas plus d'ailleurs que Barthélémy et les parents Auda.
— Si tu veux, je te les ferai les réponses. En cachette de mon père, bien sûr. Ce chantier est si dangereux, bien plus que celui du tram ..

Le regard de Cattarina s'embue un peu. En un clin d'oeil, l'émotion la submerge.

Quand Francesco travaillait sur la route dans la quartier, ils se voyaient souvent, échangeaient des sourires et tout l'été Cattarina avait pu admirer le corps musclé contre lequel elle rêvait de se blottir comme lors du bal du mariage de Costanza. Depuis, ils avaient pu se voir de façon furtive. Dès que le père partait avec le charreton pour vendre les fleurs et les légumes dans la vieille ville, elle mettait un pot de fleurs sur le bord de la fenêtre et allait puiser une carafe d'eau bien fraîche. Ainsi Francesco venait échanger quelques mots dans l'atelier de couture en buvant de grands verres d'eau. Francesca, sa mère avait remarqué le manège mais complice, elle ne risquait pas de les dénoncer. Elle aussi appréciait la gentillesse et le raffinement de Francesco. ce grand garçon avait belle allure. Sûr qu'il rendrait sa fille heureuse.

Le fracas du tram, juste devant sa fenêtre, sur la route nationale, la fit sortir de sa rêverie.

— Bon .. je te fais perdre ton temps .. Regarde, j'ai mis de côté les chutes de tissus du manteau de madame Ziem. Pour le bébé, on pourra y tailler un nid d'ange. Garçon ou fille, ça ira et le bébé sera bien au chaud. — C'est bien trop chic pour nous et la parisienne va reconnaître son tissu. Faudrait pas qu'elle nous traite de voleuses !
— Pas de problème ! Ce tissu, elle me l'a donné. Elle ne veut rien en faire.
— et pour les barboteuses, le blanc serait très bien pour l'été. Regarde ce sergé !
— Tu es trop gentille mais j'hésite. J'y tiens tellement à ce bébé. Je ne voudrais pas que préparer sa layette avant la naissance porte malheur. Surtout qu'avec Barthélémy, c'est un secret que je te confie, nous n'avons pas pu résister et nous avons pris un peu d'avance avant le mariage alors le bébé naîtra peut-être en juillet.









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Bonne lecture !


Documentation

Le canal de la Vésubie : Documentation globale de ce projet de biographie en livre d'images

les lavandières du paillon
Nice, capitale des fleurs, la Chambre d'Agriculture
la Chambre d'Agriculture
la fontaine des tritons, côté ouest du pont vieux (près du futur lycée Masséna)
la fontaine de fabron